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ANALYSE

111

Le ranc lorrain fera place à Vendosme...
quinze ans avant la Ligue

par Adrien Delcour


    Mr. Halbronn pense que le quatrain X, 18 des Prophéties, qui commence par ce vers : “Le ranc lorrain fera place à Vendosme” se rapporte si visiblement à la rivalité entre, d’une part, Henri de Guise puis le duc de Mayenne (lorrains) et, d’autre part, le futur Henri IV (fils d’Antoine de Vendôme), que la Centurie X ne peut pas avoir été écrite avant la Ligue. Mr. Benazra a soumis cet argument à une critique1 à laquelle je voudrais apporter un léger appoint.

   Tous les historiens2 disent qu’au début du règne de Charles IX, en 1561, Catherine de Médicis sembla vouloir donner la préséance à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme (roi de Navarre, père du futur Henri IV) et à son frère Louis de Condé sur les Guises de l’époque, c’est-à-dire le duc François de Guise et son frère Charles, cardinal de Lorraine, respectivement père et oncle du futur chef de la Ligue Henri de Guise.

   Louis Schlosser3 a rapproché “Le ranc lorrain fera place à Vendôme” d’un quatrain du Pasquil de la Court4 (pamphlet d’inspiration protestante publié en ladite année 1561) où on intime à François de Guise : “Et que soudain faces place à Vendosme”. Ceci montre que dès 1561, et donc quinze ans avant la formation de la Ligue, on pouvait rêver de voir “le ranc lorrain faire place à Vendosme”.

   Il y a là une similitude assez étroite, qui incite à se demander si, de Nostradamus et de l’auteur du Pasquil, l’un (mais lequel ?) n’aurait pas imité l’autre. Si Nostradamus a imité le Pasquil, Alfred Cartier5 s’est sans doute trompé en mentionnant une édition des dix Centuries donnée dès 1558 par Jean de Tournes. Si, en revanche, c’est le Pasquil qui imite X, 18, il y a là un argument en faveur de l’édition de 1558.

   J’ai cherché d’autres points de rencontre, mais la moisson est plutôt maigre.

   On peut noter que le quatrain du Pasquil adressé au Cardinal de Lorraine lui dit : “ (tu) Es mis au bas, du haut lieu arraché”, ce qui rappelle le second vers de notre quatrain nostradamique : “Le haut mis bas... ”, mais ce thème du haut mis bas est trop banal pour que cette ressemblance soit significative.

   On peut noter aussi que le quatrain du Pasquil adressé à Antoine de Vendôme finit par ce vers : “Que tost n’advienne ce qu’escrire je n’ose”, formule qui a de nombreux analogues (plusieurs années avant le Pasquil) dans les présages en prose de Nostradamus.6

   Influence unilatérale, influences réciproques, indépendance ? La seule chose qui me semble certaine, c’est qu’il est impossible de se fonder sur X, 18 pour soutenir, comme le faisait l’anonyme du Mercure de France7, qu’il est “clair comme le jour” que les centuries VIII à X ont été écrites par un contemporain de la Ligue.

Adrien Delcour
30 mai 2004

Appendice

    La curiosité du lecteur ayant peut-être été piquée par le Pasquil de la Court, je le reproduis ici, en adoptant les corrections proposées dans les Mémoires de Condé. Ce pasquil aurait été distribué vers le mois d’août 1561.

“Le Pasquil de la Court, composé nouvellement par M. Pierre de Cognieres, ressuscité, jadis Advocat en la Court de Parlement à Paris.


Au Roy de France, Charles de Valoys IX.
Quis putas puer iste erit ?


Qui penses-tu noble peuple de France,
Qui mettra fin à ton dueil et souffrance ?
Ce sera Charles ton jeune Roy et tendre,
Si Dieu luy fait sa volonté entendre.


A Anthoine de Bourbon, Roy de Navarre.
Accingere gladio tuo super femur tuum, potentissime.


Repren courage, attendu ta hautesse,
Et rens confus tes ennemis sans cause :
Et le certain pour le douteux ne laisse,
Que tost n’advienne ce qu’escrire je n’ose.


Au Prince de Condé.
Ubi sunt qui te accusabant ?


Ou sont allez tous tes accusateurs,
De ton bon zéle faux calomniateurs ?
Le Tout-Puissant leur a rompu les cornes :
Suy donc le droit, et ne passe les bornes.


A la Royne-Mere
Ecce ego, et filii mei quos dedit mihi Dominus.


Par trop cruelle me fust la mort amere,
Lorsque perdi mon support en peu d’heure :
Et bien me prend de plusieurs estre Mere :
Car par cela, en crédit je demeure.


Au Prince de Navarre.
Puer crescebas sapientia et ætate, etc.


Heureux le temps qu’on te verra Roy estre8 ;
Heureux celuy duquel tu seras Maistre,
Veu que si-tost tu es sage en jeunesse,
Dieu tel te face quand seras en vieillesse.


Au Pape.
Descendam in infernum fugiens.


De haut en bas en l’infernale fosse,
En gémissant tost me faudra descendre,
Puisqu’on cognoist ma puissance estre fausse,
Et qu’à trop peu mes Bulles je puis vendre.


Au Prince de Montpensier.
Zelum Dei quidem habent, sed non secundum scientiam.


Ce n’est assez que de bon zéle avoir,
S’il n’est conduit par prudence et savoir :
Car fort souvent on est grand zélateur
De ce qui est contre le Créateur.


Au Prince de la Roche.9
Quid est veritas ?


Comme Chrestien je desire cognoistre
Le certain but, auquel me vueil remettre;
Mais comme Prince je ne voudrois permettre
Estre abaissé pour Cardinal ni Prestre.


Au Cardinal de Bourbon.
Si cognovisses et tu.


Chacun cognoist que de très-noble race
Tu es issu, et que de prez la trace
Des tiens tu suis en toute humanité :
Mais Dieu te doingt cognoistre vérité.


Au Connestable.
Ecce Adam quasi unus ex nobis factus.


Si tu n’es prince, tu ne laisses pourtant
Par tes hauts faits, de mériter le tiltre :
Prens donc courage, et te monstre constant,
Pour mettre loing ce grand rouge belistre.10


Au Cardinal de Chastillon.
Velle mihi adjacet sed perficere non invenio.


Honneur et gain me font fort souspirer,
Mais cognoissance me fait moult désirer :
Que si l’on dit pourquoy donc je n’empesche,
Je leur respon que mon chappeau m’empesche.


Au Cardinal de Tournon.
Cum senueris, alius te cinget, et ducet quo non vis.


En mon vieil aage pensant repos avoir,
Tout au contraire ne me fay que douloir,
Voyant ma Robe des Roys tant honorée,
Maintenant estre des petits desprisée.


Au Cardinal de Lorraine.
Quomodo cecidisti de cælo, Lucifer ?


D’où vient que toy, Lucifer, attaché
Au firmament du Royaume mondain,
Es mis au bas, du haut lieu arraché,
Et ta clarté as perdu tout soudain ?


A la Royne Doüairiere.11
Regnum meum non est de hoc mundo.


Par mort et Loy suis mise hors de régne ;
Et laissant France, je retourne en Lorraine :
Trop mieux valloit n’estre si haut montée,
Pour tant subit en estre déboutée.


A Monsieur de Guise.
Tolle grabatum tuum, et ambula.


Veu qu’estranger tu es de ce Royaume,
Que tardes-tu de serrer ton bagage ?
Et que soudain faces place à Vendosme12,
Que tu voulois detenir en ostage.


Au Cardinal de Guyse.
Occidite nobis vitulum saginatum.


Qui autre soin n’a qu’à remplir sa pance,
Qui à vertu, et son Dieu point ne pense,
Je dis qu’il est une beste masquée,
Qui plus n’attend que d’estre suffoquée.


Au Mareschal de S. André.
Ubi sunt Dii tui, in quibus habebas fiduciam ?


Où sont tes Dieux ausquels tu t’es fié ?
Régnant lesquels, tu t’es glorifié.
Mieux te vaudroit ton appuy avoir mis
En Dieu, qu’aux Grands de leur Siége démis.


A la Maison de Bourbon.
Vos qui aliquando eratis longè, facti estis propè.


Comme Estrangers, loin vous ont voulu mettre,
Et de l’honneur qui vous est deu, démettre :
Mais le Seigneur par sa forte main dextre,
Eux déchassez, bien fort prez vous fait estre.


A la Maison de Guyse.
Abierunt retrorsum et ceciderunt.


Comme au Jardin, la tourbe meurdriere,
Espouvantée, retourna en arriere :
Aussi sera la Maison estrangere,
Quand se verra de Bourbon chambriere.


A tous les Moines.
Væ vobis.


Mal-heur sur vous, povres mal-advisez;
Mal-heur sur vous, Antechrists desguisez,
Puisque voyez ce que ne vouliez veoir,
Et que chascun désire de sçavoir.


FIN”

Notes

1 Robert Benazra, “La thèse du complot des Centuries à l’épreuve de la critique“, Analyse 77. Retour

2 Voir par exemple Michel Mourre, Dictionnaire d’histoire universelle, t. 2, Paris, 1975, art. Guise, p. 904 : “Catherine de Médicis, devenue régente pendant la minorité de Charles IX, s’efforça de contrebalancer l’influence dangereuse des Guise en leur opposant les Bourbons.”. Retour

3 Louis Schlosser, La vie de Nostradamus, Paris, 1985, pp. 239-240 et 281, n. 25. Retour

4 Le Pasquil de la Cour(t), compose nouvellement par maistre Pierre de Cognieres resuscité (...), Paris, 1561. Dans cette édition (mentionnée par Brunet), le Pasquil est très rare, mais il est reproduit dans la collection de documents appelée Mémoires de Condé, t. 2, Londres, 1743, pp. 657-660. A ma connaissance, Pierre de Cognières est un nom de fantaisie. Rappelons que les Mémoires de Condé ne sont pas les souvenirs d’un prince de Condé, mais un recueil de documents d’époque sur les guerres de religion. Retour

5 Voir Robert Benazra, Répertoire chronologique nostradamique, Paris, 1990, pp. 37-38. L’édition de 1558 des dix Centuries n’est attestée que par Cartier. Robert Benazra, endroit cité, considère son existence comme vraisemblable, compte tenu de certains éléments de l’Epître à Henri II. Pierre Brind’Amour (Nostradamus astrophile, 1993, pp. 39-40 et 60) plaide lui aussi pour l’existence de cette édition de 1558, en alléguant que l’ambassadeur vénitien Michele Suriano (ou Soriano) mentionne le quatrain X, 39 dans une lettre du 20 novembre 1560. Il ne me semble pas certain que Suriano pense à ce quatrain, ni même à Nostradamus. Retour

6 “Je n’ose mettre” (Almanach pour 1553, cité par Laurens Videl ; voir B. Chevignard, Présages de Nostradamus, 1999, p. 198, n. 1) ; “ce que je n’ose mettre par écrit” (présage pour 1555, n° 470; Chevignard p. 244), etc. Retour

7 Manuscrit cité dans la thèse de Mr. Halbronn, chap. I. Voir http//ramkat.free.fr/thalb1.html. Retour

8 Le Pasquil, qui n’est pas hostile au roi de France régnant Charles IX, n’annonce évidemment pas que le prince de Navarre (futur Henri IV) deviendra roi de France, il prévoit seulement qu’il sera roi de Navarre après son père. Voir le second quatrain. Retour

9 Note des Mémoires de Condé : Roche-sur-Yon. Retour

10 Note des Mémoires de Condé : app. le Cardinal de Lorraine. Retour

11 Note des Mémoires de Condé : Marie, Reine d’Ecosse veuve de François I. Retour

12 Note des Mémoires de Condé : Le Roi de Navarre. Retour



 

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