ESPACE NOSTRADAMUS

Lune
Portrait de Nostradamus
Accueil
Biographie
Ascendance
Bibliographie
Références
Analyse
Frontispices
Gravures Actualité
Recherche
Club
Ramkat
Lune




ANALYSE

19

La célébration du cinquième centenaire
de la naissance de Michel de Nostredame
par Jacques Halbronn

 

Sommaire :

1 - Nostradamus chez GF-Flammarion
2 - Nostradamus chez Gallimard
3 - Nostradamus chez Scherz (Berne)


1

Nostradamus chez GF-Flammarion

    A l’occasion du cinq centième anniversaire de la naissance de Michel de Nostredame, de “grands” éditeurs, et qui plus est dans des collections réputées (Classiques GF et Découverte), publient cette année des éditions critiques des Prophéties. Avant d’aborder le travail de H. Drévillon et P. Lagrange, paru chez Gallimard, accueillons comme il le mérite celui de Bruno Petey-Girard chez GF Flammarion, aux côtés de chefs d’oeuvre de la littérature du XVIe siècle. Cette édition ne comporte que les sept premières centuries et la Préface à César, sans que ce point soit précisé au titre ou en quatrième de couverture.

   Le postulat initial de B. Petey-Girard est le suivant : Michaël (sic) de Nostredame est l’auteur de tout ce qui est paru sous son nom et avant sa mort en 1566, à l’exclusion des Centuries VIII - X qui ne sont connues que par une édition posthume de 15681 :

   “Nous avons préféré n’éditer que les textes dont Nostradamus est à coup sûr (sic) l’auteur et qui ont paru de son vivant (...) L’authenticité de ces textes (Centuries VIII - X) est incertaine (...) Peut être (telle) mention ne vise-t-elle qu’à accréditer l’authenticité de textes posthumes que rien par ailleurs ne confirme.” (p.50).

   Attitude prudente que nous ne pouvons que saluer et que nous avons peut être inspirée, dans la mesure où il cite, dans sa bibliographie, notre étude parue dans Politica Hermetica, n°5, “Récentes bibliographies autour de Nostradamus”, mais ignore l’ouvrage publié, en 2002, chez Ramkat, Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus et notre analyse du témoignage, disqualifiant les Centuries V - VII, d’Antoine Crespin, dans les Prophéties à la Puissance Divine (1572), tout comme il semble tout ignorer (pp. 34 - 35) du recours à la Guide des Chemins de France d’Estienne, signalée par Chantal Liaroutzos. Autrement dit, ce qui est édité par GF Flammarion serait paru entre 1555 et 1557, entre ces deux dates, on serait donc passé de 353 quatrains à 640 / 42 quatrains. A propos des derniers quatrains de la Centurie VII, Petey-Girard note : “Ces deux quatrains (41 et 42), publiés pour la première fois dans l’édition sortie des presses d’Antoine du Rosne le 6 septembre 1557 ne figurent pas dans l’édition que le même libraire offre au public le 3 novembre de la même année.” (p. 254, voir aussi p. 45). Entre temps, ils ont disparu, ce sont des choses qui arrivent. L’édition du 3 novembre 1557 est “la dernière parue du vivant de l’auteur”. (p. 49)

   Au demeurant, Petey-Girard admet fort bien que Michel de Nostredame ait pu être imité, plagié (pp. 23 - 24), s’appuyant notamment sur le témoignage de La Croix du Maine (1584) : “Nostradamus peut être imité dans son écriture et (ses) almanachs contiennent des quatrains prophétiques caractéristiques de la manière nostradamienne”, et plus haut : “Il existe une véritable manière nostradamienne intimement associée par les contemporains aux dons prophétiques si bien que le pastiche a autant de valeur que l’authentique”.

   Petey Girard de s’interroger (p. 19) sur le passage de 1555 à 1557 et notamment sur l’existence “énigmatique” de deux centuries incomplètes, la IVe qui ne le serait restée que jusqu’en 1557 et la VIIe qui ne sera jamais parachevée. On complète la IVe mais on laisse la VIIe à son tour incomplète comme s’il fallait maintenir cet état “non finito”. (p. 19)

   Petey Girard note la double référence, dans la Préface à César et dans les Significations de l’Eclipse (1559), à un commentaire non retrouvé (pp. 14 - 15), ce qui laisserait entendre que les Centuries ne sont pas compréhensibles d’elles-mêmes, mais doivent être décodées : “Qu'il s’agisse ou non dans ces deux passages d’un même texte, une chose demeure certaine : le vers (...) obscur voire inintelligible s’oppose à une prose intelligible qui peut en éclaircie le sens”.

   Petey Girard est certes prudent mais il n’en a pas moins introduit des Centuries (V - VII) dont nous pensons qu’elles datent des années 1580. En revanche, il évacue les Centuries VIII - X qui sont plus anciennement attestées, mais dont l’attribution de paternité à Michel de Nostredame en effet n’en est pas moins douteuse. Il est vrai que même les premières Centuries font problème tout comme la Préface à César. Il aurait mieux valu que Petey Girard, quelque peu embarrassé, s’en tint à l’idée qu’il exprime d’ailleurs, on l’a vu, d’un corpus nostradamique sans chercher à distinguer le vrai du faux. Il semble qu’il ait opté pour une voie médiane, celle de la date de parution, risquant ainsi de déplaire à tout le monde en en ayant fait trop ou trop peu.

   Dans notre étude sur les Centuries incomplètes2, nous avons développé la position suivante que nous reprenons ici, notre réflexion à l’occasion de cette édition de sept centuries, correspondant au premier volume de l’édition datée de 1568, celle d’ailleurs qui sert de référence à Petey Girard, bien qu’il la juge (p. 50) suspecte en son second volet.

   Il est très improbable que la première édition des Centuries ait été à 353 quatrains, nous avons là visiblement affaire à une addition et ceux qui ajoutèrent des quatrains voulurent maintenir la présentation d’une édition avec addition, d’où la centurie VII incomplète. Nous avons la trace d’une telle addition dans l’intitulé des éditions parues en 1588 - 1589 et qui mentionnent 39 “articles” ajoutés à la dernière centurie et qui l’auraient été en 1560 / 1561. S’il en est ainsi, aucune édition authentique antérieure à cette date ne devrait comporter une Centurie incomplète !

   La date de 1555 est due à la Préface à César et les faussaires n’auraient du publier que des centuries complètes pour constituer une édition ainsi datée mais ils ont ignoré l’histoire de cette addition et s’en sont tenu à la date de la Préface. Et il en est de même de la date de 1557.

   En fait, nous aurions les étapes suivantes dans la formation du premier volet à sept centuries :

Les éditions à 4 centuries

      1 - Vers 1568 : une édition à 3 centuries non conservée, antidatée à 1555 / 1556.

      2 - Vers 1570 : une édition à 3 centuries plus une addition supposée datée de 1560 / 1561 à 39 quatrains, non conservée.

      3 - Une édition à 3 centuries plus une addition de 39 quatrains à laquelle on rajoute encore d’autres quatrains, ce qui aboutit finalement, vers 1590, à 53 quatrains à la centurie IV.3 Ce type d’addition est typique, il est attesté pour la Centurie VII, notamment sous la Fronde. L’édition d’Anvers de 1590 se réfère à une édition avignonnaise de 1555, chez Pierre Roux, qui a probablement été fabriquée alors. Les éditions hollandaises - Leyde (1650) et Amsterdam (1667 - 1668) - se référent à une édition avignonnaise de 1556, ce qui vient recouper l’édition lyonnaise de Sixte Denyse, citée en 1584 par La Croix du Maine. Mais répétons-le, cette date est liée à celle de la Préface à César.

   Il est regrettable, enfin, que Bruno Petey-Girard n’ait pas pris connaissance des Actes des Journées Verdun-Saulnier qui se tinrent à la Sorbonne en 1997 et parurent l’année suivante alors qu’il signale les mêmes Journées de 1986, à l’occasion d’un texte d’Olivier Millet. Dans ces Actes de 1998, M. Petey Girard aurait trouvé notre étude “Les prophéties et la Ligue” qui posaient le problème d’un quatrain de la IVe Centurie relatif à Tours et dont nous considérions qu’il datait de la fin des années 1580. S’il en avait pris connaissance, M. Petey Girard aurait peut être compris que non seulement il convient de dater les Centuries mais aussi les quatrains. Mais dans ce cas, il aurait peut être déclaré forfait ! En tout état de cause, cette édition GF Flammarion ne rime à rien et trahit une évidente inexpérience de la littérature prophétique voire de l’histoire de l’époque, ce que compense mal le bagage qui est celui de M. Petey-Girard, qui atteint vite son niveau d’incompétence, et qui se situe à peu près exclusivement au niveau des pratiques poétiques du temps, ce qui ne mange pas de pain. Nous verrons, dans notre second volet, comment MM H. Drévillon et P. Lagrange, qui s’y sont mis à deux, ont su gérer, pour le compte de Gallimard, cette fois, le puzzle / labyrinthe nostradamique. Rappelons que Mme Guilleminot (de la Réserve de la BNF) mettait récemment en garde les chercheurs, en intitulant sa communication “l’impossible bibliographie”, lors du Colloque Nostradamus, tenu à la Bibliothèque Nationale de France, fin janvier 2003.

2

Nostradamus chez Gallimard

    L’édition Petey-Girard avait au moins le mérite sinon l’audace de s’interroger sur les Centuries que l’on pouvait attribuer à Michel de Nostredame, elle nous faisait ainsi, en dépit de ses insuffisances, pénétrer au coeur de la “critique” nostradamique. En revanche, l’édition Drévillon-Lagrange, ne nous donne qu’un très faible aperçu de cette critique et ce d’autant que le passage de notre plume qui devait paraître dans l’anthologie a finalement disparu. Nous reproduisons ci-après le dit passage présélectionné :

“Les faussaires ont beau jeu de brouiller les pistes en antidatant les éditions qu'ils mettent sur le marché et souvent les historiens se contentent de leur emboîter le pas sans parler des biographes qui n'hésitent pas à attribuer à leur héros des propos qu'ils n'ont jamais tenus ou des publications qui ne parurent pas de leur vivant. Certes, ils font en sorte que le papier et les caractères correspondent peu ou prou à ce qu'on est en droit d'attendre d'une édition ainsi datée. Ceux qui pensent que de nos jours les conservateurs des bibliothèques - même à la Bibliothèque Nationale de France ! - sont capables de séparer le bon grain de l'ivraie rien que par l'étude matérielle du document se font des illusions.

En réalité, sauf dans le cas de contrefaçons très grossières, seule l'étude du contenu permet de dépister un faux et notamment de repérer des anachronismes. Mais cela reste plus facile à dire qu'à faire.

N'oublions pas, en effet, qu'on est dans le domaine du prophétisme et parler d'anachronisme en la matière peut surprendre dans la mesure où par définition le prophète est “anachronique”, en avance sur son temps, ce qui signifie qu'il est supposé annoncer une époque non encore advenue.

Même si l'on ne croit pas aux prophètes, il faut faire la part de certains textes suffisamment ambigus dans leur formulation pour sembler annoncer le futur alors qu'ils reflètent le passé ou le présent. Et l'Histoire, elle-même, ne se répète-t-elle pas, on dit même qu'il lui arrive de bégayer. Comment dès lors “coincer” un faussaire ? Précisons d'abord que l'on ne veut pas ici parler de faussaires contemporains mais de faussaires d'avant la Révolution Française. En effet, personne ne se risque plus depuis deux siècles à créer des éditions antidatées des Centuries car les éditions anciennes sont suffisamment bien connues pour que l'on ne puisse raisonnablement modifier ou ajouter ne serait-ce qu'un quatrain. Il est vrai que les contrefaçons ne datent pas d'hier et que l'on pourrait faire une histoire des escroqueries à travers les âges. D'ailleurs, sans de tels subterfuges, le prophétisme ne serait pas ce qu'il est.

Il y a des coïncidences - on pense au cas de Varennes - qui n'autorisent pas pour autant à crier à l'entourloupette et qui seraient d'ailleurs bien grossières s'il s'agissait d'interpolation dans le texte des Centuries, au lendemain de certains événements qu'on aurait souhaité avoir été annoncés par Nostradamus.

Quels sont, en effet, les motivations et les mobiles des faussaires ? On ne commet pas un faux simplement pour apporter de l'eau au moulin de la prophétie. Il faut des enjeux plus sérieux. Et pour tout dire des enjeux d'ordre politique, justifiant des manipulations visant à agir sur le cours des choses, généralement à court terme.

Le prophétisme relève largement de la propagande politique, se place au service d'un des camps en présence - souvent des deux - et donc s'épanouit en période de guerre civile dont la France fut coutumière aux XVIe et XVIIe siècles, sans parler des guerres avec des puissances étrangères. Le problème, pour le chercheur, c'est de trouver l'époque où le faux a été fabriqué et donc le contexte évoqué par la fausse édition ainsi antidatée. C'est un peu la quadrature du cercle. Il faut, en effet, souligner le fait que lorsque une édition des Centuries reparaît, c'est rarement par hasard, cela correspond à une volonté d'agir sur le cours des événements.

Ce que nous avons voulu démontrer, c'est que les premières éditions des Centuries, celles qui sont supposées avoir été publiées du vivant même de Nostradamus ou au lendemain de sa mort étaient les plus suspectes. Il est normal, en effet, que les faussaires aient justement voulu contrefaire des éditions de cette époque, ce qui leur confère, a priori, un plus grand caractère d'authenticité.

Un piège dans lequel ces faux-monnayeurs tombent irrésistiblement, c'est de vouloir fabriquer des éditions plus complètes que celles qui paraîtront ultérieurement à la date indiquée. En effet, ces faussaires de la raison d'Etat s'embrouillent dans le dédale des éditions successives et c'est ainsi, plus encore que par le contenu, que l'anachronisme des éditions ainsi fabriquées les trahit.

C'est ainsi que l'on a retrouvé deux éditions se présentant comme datant de 1557, et qui seraient parues chez le même éditeur lyonnais, Antoine du Rosne. Mais elles comportent à la fin (centurie VII) des quatrains qui ne figurent pas dans les éditions des années 1588 - 1589 alors que ces quatrains se trouvent dans les éditions de la dernière décennie du XVIe siècle. Encore plus grave, les deux éditions de 1557 comportent le mois de leur publication et malheureusement c'est celle qui a des quatrains supplémentaires par rapport à l'autre qui serait parue la première !

Nous disposons d'un argument du poids à l'encontre des éditions de 1557, les premières à comporter les centuries V, VI et VII. En 1572, Antoine Crespin publie une compilation des Centuries et curieusement, il ne mentionne pas un seul verset issu des quatrains des centuries V à VII ! De là à conclure qu'à une date aussi tardive - Nostradamus meurt en 1566 - ces centuries n'existaient pas encore, il n'y a qu'un pas. Donc dès lors que les éditions de 1557 les comportent, elles ne peuvent que transpirer la contrefaçon.

Comment ont procédé les faussaires ? Ils ont utilisé un autre ouvrage de Nostradamus, paru en 1557, sur un autre sujet. Ils ont gardé le nom de l'éditeur lyonnais, Antoine du Rosne, ainsi que la vignette de couverture et ils ont modifié le titre et le contenu. Et le tour est joué !

Au bout du compte, il semble bien que l'on ne dispose d'aucune édition originale des Centuries pour les années 1550 - 1560.”4

   Faute de disposer désormais de la moindre étude sur les procédés des faussaires, les auteurs se contenteront des allusions suivantes à propos de nos travaux : “Cette étude5 importante et controversée est suivie d’une série de “documents nostradamiques” (p. 119) et “Selon Jacques Halbronn, la constitution du corpus nostradamique n’a pas été assez attentive à la question de l’authenticité et de la généalogie des textes (...) Cette confusion a alimenté, selon lui, une “historicité factice.” (p. 31).

   Il ressort que le travail qui nous est présenté par ces deux universitaires est d’un niveau scientifique très quelconque, presque toujours de seconde main, bien en deçà des travaux menés pour d’autres auteurs de la Renaissance, on pense notamment à la question de la chronologie des éditions de Michel de Montaigne (1533 - 1592), autre descendant de juifs convertis / marranes. Les auteurs ne nous disent pas quels sont les points de désaccord entre chercheurs et prennent pour argent comptant les bibliographies existantes parues dans les années 1982-1990. Au point (p. 44) de parler d’une “trente-neuvième version” pour désigner l’édition qui serait parue en 1611, adoptant ainsi, sans sourciller, l’agencement provisoire proposé par R. Benazra.6

   Déjà en ce qui concerne un précédent ouvrage de M. Drévillon, Lire et écrire l’avenir. L’astrologie dans la France du Grand Siècle (1610 - 1715), Seyssel, Champ Vallon, paru en 1996, à partir de sa thèse (Paris X, Nanterre), nous avions noté7 sa dépendance extrême par rapport aux travaux existants, les nôtres en particulier. On ne peut pas dire qu’il ait redoré son blason avec cette commande. Certes, on nous reprochera de regretter que M. Drévillon n’ait pas mieux su prendre en compte nos recherches sur Nostradamus et en même temps de signaler qu’il se sert des travaux existants. Il est vrai que le domaine nostradamique est d’une fréquentation très délicate et que M. Drévillon aura prudemment préféré ne pas entrer dans le débat, faire l’impasse, mais cela ne change rien au fait que la contribution du présent ouvrage à la recherche nostradamique est à peu près nulle.

   On a droit au pont aux ânes habituel fusionnant biographie et bibliographie en un ensemble inconsistant : “En 1555, il publie à Lyon, chez Macé Bonhomme, son premier recueil de “centuries” (...) Il contient trois centuries complètes et 53 quatrains de la quatrième. Progressivement, entre 1557 et 1558 de nouvelles éditions portent le nombre des centuries à dix pour former selon l’expression de l’auteur une “milliade”. (p. 19) Relevons que nous avions souligné8 cette expression “milliade”, figurant dans l’Epître à Henri II telle qu’elle a été remaniée pour figurer en tête de trois Centuries. Pour nos auteurs, tout est simple, une Epître à Henri II datée de 1558 parle d’une “milliade”, donc les dix centuries (10 x 100 quatrains) étaient antérieures ou contemporaines de cette année. CQFD. Or, ce faisant, l’ouvrage de Drévillon et Lagrange constitue un recul sensible même par rapport aux bibliographes les plus prudents. Il y a carrément une absence totale de sens critique !

   Au fond, les deux éditions dont nous rendons compte, celle de GF et celle de Gallimard, trahissent une évidente désinvolture et leur confrontation a un effet comique : Petey Girard ne retient pas les Centuries VIII - X au prétexte que l’édition conservée portant la date la plus ancienne est de 1558, apparemment, il ne se formalise pas de ce que l’Epître à Henri II semble les annoncer mais peut être n’avait-on pas attiré son attention sur la “miliade”, cet auteur ne citant qu’une étude que nous avions publiée en 1991 dans Politica Hermetica (cf. supra), alors que le tandem Drévillon-Lagrange s’appuie sans état d’âme sur une Epître dont ils n’apprécient pas l’effet d’annonce. Autrement dit, ils n’accordent pas le moindre intérêt aux mises en garde de la critique nostradamique dont ils donnent un aperçu par trop sibyllin. Autrement dit, ils avancent comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Et pourtant, ne nous signale-t-on pas en note (p. 43) : “La contrefaçon des Prophéties est devenue si fréquente qu’en 1571 l’auteur des Présages pour 13 ans... trouvés en la bibliothèque de Nostradamus se plaignait de ses concurrents qui sous le nom et crédit de Nostradamus espéraient “donner bruit et réputation à leurs ineptes écrits”. Or, n’est-il pas venu à l’esprit de M. Drévillon que de telles contrefaçons avaient pu conduire à des éditions antidatées ? C’est en effet, au lendemain de la mort de Michel de Nostredame, qui fut, selon nous, si fertile en pseudo centuries nostradamiques; que se situe un tel témoignage.

   Curieusement, cela ne les empêche pas d’écrire (toujours page 19) juste avant le passage cité : “Les “présages” contenus dans ses almanachs constituent la matrice à partir de laquelle Nostradamus a composé ses Prophéties”. Le problème, c’est que pour que les almanachs à quatrains puissent avoir inspiré les Centuries, encore faudrait-il qu’ils aient paru antérieurement. Or, affirmer aussitôt après que les dix Centuries sont parues entre 1555 et 1558 laisse assez peu de temps pour que les almanachs de Michel de Nostradamus aient pu faire carrière. Le propos est juste mais il est déconnecté au niveau chronologique : c’est en effet du fait de la fortune durable des quatrains jusqu’à la mort de l’auteur (en 1566) que l’idée de recueils posthumes de quatrains fit son chemin. B. Chevignard, cité dans la bibliographie de Drévillon mais avec un titre abrégé ne mentionnant pas les dates de parution des présages tant en vers qu’en prose, dans son recueil de présages en vers, à partir d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque La Part Dieu, à Lyon, Recueil des présages prosaïques, débute avec l’almanach pour 1555.9 Quelque part, on peut se demander si un tel travail qui s’adresse à un public assez large ne contribue pas à faire le jeu des faussaires.

   Relevons toutefois une perle bibliographique, exception qui vient confirmer la règle : il est vrai qu’elle concerne le milieu du XVIIIe siècle, deux siècles plus tard : “L’article10 consacré à Saint-Rémy de Provence donnait l’occasion de dénoncer toutes les superstitions dont le prophète était le symbole, lui qui vivait dans un siècle où l’on avait l’imbécillité de croire à l’Astrologie judiciaire”. (p. 46) Il y avait une rumeur sur un article Nostradamus dans l’Encyclopédie mais nul, à notre connaissance, n’avait repéré qu’il s’agissait de l’article consacré au lieu de naissance de Michel de Nostredame, en 1503.

Jacques Halbronn
Paris, le 25 avril 2003

3

Nostradamus chez Scherz (Berne)

    L’ouvrage d’Elmar R. Gruber11 accorde à la critique nostradamique plus d’importance que les deux ouvrages parus en France déjà abordés, ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’auteur de n’en tenir aucun compte quant à ses propres recherches et conclusions.

   Elmar Gruber n’en tente pas moins de réfuter ou de minimiser les objections de la critique nostradamique, représentée notamment par Roger Prévost et par nous-même, étant donné que feu P. Brind’amour n’avait fait aucune contribution critique quant à la date et au contenu des premières éditions des Centuries. Il est vrai que M. Gruber ne connaît de nos études critiques sur le sujet que notre communication de 1997, “Les prophéties et la Ligue”12 et un texte paru sur le Site du CURA (cf. infra), “Réflexions sur les méthodes de travail des nostradamologues” (2002).

   Evitons les faux débats : nous ne contestons aucunement qu’il ait existé une Epître à César13, elle est suffisamment attestée mais cela n’implique pas qu’elle ait introduit des Centuries ; il est probable, au demeurant que certains quatrains ont pu être inspirés par la dite Epître. De quand date la “vraie” Epître ? Elle ne peut guère être très antérieure à la date figurant sur la fausse, celle du Ier mars 1555, vue la naissance de César, en décembre 1553.14 On ne peut exclure que les faussaires aient choisi la même date. Rappelons que concernant la préface, nous pouvons exclure une première préface à César datée de 1554, étant donné que dans la préface il est question des mois de César qui n’aurait pas encore eu un an. Or, né le 18 décembre 1553, César aurait eu nettement plus d’un an le 1er mars 1555. Les faussaires n’auraient dans ce cas pas corrigé ce passage, ignorant probablement la date de naissance de César.

   Gruber s’intéresse (p. 83) à une formule latine figurant dans la Préface à César, et dont il souligne le caractère fautif sur le plan de la construction, possum non errare. Or, nous avons montré15 que c’est la forme non possum errare qui avait été traduite par Videl, alors que Gruber voudrait y voir une coquille et ainsi éliminer le “non”, ce qui donnerait possum errare. Point important, car il s’agit de montrer que la Préface à César à laquelle Videl, auquel Gruber accorde quelque importance dans son dossier, se réfère n’est pas celle figurant en tête des Centuries.

   Un des mérites du travail de Gruber est de ne pas aborder exclusivement le corpus nostradamique, ce qui le conduit à consacrer un développement à Lichtenberger et au Mirabilis Liber (pp. 116 - 121) comme le fait par ailleurs un P. Lemesurier (Colloque de St Rémy de Provence, 2002) ; il rappelle que la Préface à César emprunte au Compendium de Savonarole qui appartient à ce recueil prophétique. Or, un tel emprunt (cf. infra) ne nous semble précisément pas aller en faveur de l’authenticité de la Préface à César.

   Elmar Gruber revient sur la mention expresse de la deuxième Centurie dans les Significations de l’Eclipse de 1559, reproduites en fac-similé dans l’édition Chevignard des Présages, Paris, Seuil, 1999. On notera que Gruber a travaillé comme B. Chevignard à partir du manuscrit conservé à Lyon, le Recueil des Présages Prosaïques. C’est également de la deuxième centurie qu’il est question dans la préface de Jean de Chevigny, traducteur de L’Androgyn de Jean Dorat (1570) et on peut se demander si ce n’est pas la référence figurant en tête de L’Androgyn qui aurait inspiré celle des Significations, qui implique l’existence d’un commentaire qui pourrait être celui de Dorat, ce dernier s’étant vu attribuer un tel travail16, Significations, qui, rappelons-le, sont la traduction d’un texte de Leovitius sur les éclipses. Rappelons que pour notre part le recours à des traductions ou à des compilations nous apparaît comme la marque des contrefaçons. A ce propos, Gruber nous parle des recherches de Chantal Liaroutzos, notamment à propos du quatrain “Varennes” (pp. 256 - 258). Gruber cite (p. 264) nos travaux sur ce sujet, parus sur le Site Cura.free.fr., montrant que l’emprunt s’est fait à un livre de pèlerinages plutôt qu’à un simple guide de voyage, les deux ouvrages étant du même auteur et nombre de données y étant communes. Peut-être se demande Gruber la prophétie de Nostradamus a-t-elle trouvé son inspiration en parcourant les itinéraires proposés par Charles Estienne.

   Gruber en vient (pp. 128 - 129) à l’analyse figurant dans les “Prophéties et la Ligue” : il observe que personne avant nous n’avait remarqué une telle allusion au gouvernement de Tours d’Henri de Navarre. Or, demande-t-il : quelle peut être la valeur de la propagande prophétique si personne ne fait le rapprochement ? Décidément, il faut se méfier des chercheurs qui réduisent le corpus nostradamique à ce qui en a été conservé ou publié. Or, dans ce cas, que sait-on de l’écho des Centuries avant 1570, quand un seul quatrain est signalé dans L’Androgyn ? Ce qui serait d’ailleurs un argument tout à fait pertinent quant à leur inexistence, hormis bien entendu dans le cas des Significations de l’Eclipse (1559).

   Soyons sérieux, le grand nombre d’éditions des Centuries conservées pour la période 1588 - 1590 ne s’accompagne pas pour autant de commentaires avant le Janus Gallicus (1594) et les lecteurs n’en étaient pas moins aptes à discerner les allusions aux enjeux de leur temps, notamment sous forme d’anagrammes (Mendosus par exemple, qu’on ne trouve que dans les Centuries introduites par l’Epître à Henri II) ; sans parler des références à Avignon, qui portent la marque des préoccupations de Crespin. C’eût été une bonne chose si Gruber avait montré les différences d’inspiration, de sources, entre les différentes Centuries mais, ce faisant, n’aurait-il point risqué de mettre en évidence le caractère composite voire syncrétique de l’ensemble, observation se prêtant mal à la thèse d’un seul auteur écrivant sur une courte période de temps ?

   Dans sa discussion concernant les travaux de R. Prévost, Elmar Gruber tente de retourner leur argumentation (p. 128) : si nous nous intéressons au quatrain 46, en occitan, de la Centurie IV, Prévost17, lui s’arrête sur le quatrain 44 de la même centurie et le relie aux actions dans le Sud Ouest de Blaise de Monluc. Or, pour Gruber, puisque ce quatrain est attesté, irrévocablement, dans l’édition de 1555, donc il était prophétique et on a bien là la preuve de ce que Michel de Nostredame était prophète ! Le problème, c’est que si Gruber montre bien que la Préface à César était connue de certains adversaires de Michel de Nostredame, en ce qui concerne les Centuries elles-mêmes, il dépend du seul recoupement des Significations de l’Eclipse. Gruber aurait pu aussi signaler que Videl fait allusion à une Epître au Roi mais encore aurait-il fallu montrer que c’était bien celle figurant dans le canon centurique.

   Ajoutons que Gruber revient (p. 128) sur l’argument des ambassadeurs vénitiens n’hésitant pas à y voir confirmation du quatrain 39 de la Centurie X et donc la démonstration qu’avant la mort de François II, en 1560, l’ensemble centurique était tout entier paru. Or, nous avons montré qu’un tel pronostic ne concernait pas un quatrain mais un texte en prose.18

   Au final, Gruber, s’il signale (p. 126) les risques de plagiats, de collages, ne semble vouloir les percevoir que pour les almanachs alors qu’au bout du compte les Centuries en seraient sorties indemnes.

   On comprendra que Gruber n’aura, au bout du compte, rien concédé aux critiques, il rejette tout en bloc quant à leurs allégations et considère qu’il a sauvé la mise. Il est vrai que si l’on ajoute à l’idée que Michel de Notredame était bel et bien prophète, les conséquences liées à l’ingéniosité des faussaires qui ont balisé le terrain, on en est en effet tenté de parler de fausses alertes.

   Signalons qu’Elmar Gruber a collaboré avec le Professeur Hans Bender (Fribourg), spécialiste des recherches en parapsychologie. Or, faut-il insister sur le fait qu’il importe peu que les Centuries soient l’oeuvre de celui-ci ou de celui-là pour leur accorder ou non le label prophétique à moins de poser d’entrée de jeu que Michel de Nostredame est, en soi, prophète et que tout ce qui lui est attribué devient ipso facto prophétique. Les faussaires, aussi, ont le droit d’être prophètes mais un prophète-faussaire, cela ne fait pas sérieux, paraît-il. Il semblerait donc que pour être déclaré prophète, il faut tout un ensemble biographique de conditions, bien au delà du caractère prophétique avéré / validé de tel ou tel quatrain ou épître. Les faussaires qui ont souhaité attribuer à Michel de Nostredame tout un nouveau corpus le firent en raison de la personnalité, de l’aura de ce dernier. Ce qui comptait pour eux n’était pas tant que l’on vérifiât, au vu des événements, la valeur des textes ainsi produits mais que l’on y crût parce qu’ils émanaient d’un prophète. On aurait pu croire que désormais les textes comptassent davantage que leur auteur présumé. Il n’en est rien, d’où ce baroud d’honneur combinant biographie et bibliographie en un seul et unique bloc.

Jacques Halbronn
Paris, le 29 avril 2003

Notes

1 Cf. sa “biographie chronologique”, pp. 42 et seq. Retour

2 Sur ce Site. Retour

3 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 126 - 127. Retour

4 Extrait de “Michel de Nostredame face à la critique nostradamique” (Cura.free.fr). Retour

5 A propos des Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ramkat.free.fr. Retour

6 Cf. RCN, Paris, Trédaniel, p.170. Retour

7 Cf. notre étude sur “Yves de Paris” sur le Site Cura.free.fr. Retour

8 Cf. Documents inexploités, p. 168. Retour

9 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999. Retour

10 Cf. Encyclopédie de Diderot, 1765, vol. XIV, article Saint-Rémy, p. 102. Retour

11 Cf. Nostradamus. sein Leben, sein Werk und die wahre Bedeutung seiner Prophezeiungen, Berne, Scherz, 2003. Retour

12 Cf. Actes du Colloque Prophètes et prophéties, parus en 1998, dans les Cahiers Verdun-Saulnier. Retour

13 Cf. Gruber, Nostradamus, op. cit., pp. 127 - 128. Retour

14 Cf. l’étude de R. Benazra, en tête du reprint de l’édition Macé Bonhomme, Rouanne, Les Amis de Michel. Nostradamus, 1984, p. 25. Retour

15 Cf. notre étude sur l’ “humilité” de Michel de Nostredame, sur ce Site. Retour

16 Cf. les Bibliothèques des années 1584 - 1585 de La Croix du Maine et de Du Verdier. Retour

17 Cf. Le mythe et la réalité, Paris, Laffont, 1999. Retour

18 Cf. notre étude in Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ramkat, 2002. Retour



 

Retour Analyse



Tous droits réservés © 2003 Jacques Halbronn