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ANALYSE

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Importance de l'an 1568
pour l'histoire des éditions centuriques

par Jacques Halbronn

    La recherche nostradamologique s'apparente à un puzzle dont on aurait perdu un certain nombre de pièces. Ne pas le comprendre ne pourrait conduire qu'à vouloir relier entre elles des pièces qui ne s'emboîtent pas les unes dans les autres en raison des pièces manquantes. Savoir reconnaître les manques au sein d'un corpus est d'ailleurs la meilleure preuve que l'on a bien appréhendé le dit corpus car il y a toujours des chaînons manquants dans la documentation de l'historien et son talent consiste à en prendre conscience et à tenter de les reconstituer. En fait, la nostradamologie nous apparaît de plus en plus comme une discipline à part entière, extrêmement exigeante et formatrice. Celui qui passe par cette école est mieux armé pour aborder ensuite d'autres domaines d'investigation sans rapport avec le corpus nostradamique. La méthode que nous avons développée laisse la liberté à chaque chercheur d'élaborer les démonstrations de son choix et de parvenir éventuellement et provisoirement à d'autres conclusions que les nôtres mais il ne nous semble pas que l'on puisse désormais envisager de construire un discours pertinent sans s'appuyer sur un certain nombre de repérés ou chronèmes, c'est probablement désormais la seule façon de circuler dans le dédale nostradamique. Il convient de distinguer deux étapes et deux activités, l'une consistant à remarquer et à signaler des variantes et l'autre à en tirer des conclusions. La moindre des choses que l'on est en droit d'attendre d'un nostradamologue qui se respecte d'avoir connaissance des variantes - et par là nous n'entendons pas tant celles propres aux quatrains que celles qui touchent à tel passage d'une épître, à telle formulation d'un titre, etc : c'est là désormais un bagage minimal qui permet d'étayer une argumentation. Si l'on peut excuser celui qui n'avait pas connaissance d'une certaine méthodologie, en revanche, celui qui est supposé en être averti est plus blâmable puisqu'il ne veut pas entendre.

   Pourquoi les Centuries se présentent-elles en deux volets ? Nous avons suggéré dans une précédente étude sur les variantes (sur ce Site) qu'il pourrait s'agir de l'articulation d'un volet prospectif sur une volet rétrospectif, à la façon d'un Janus. Il est probable que parut un tel diptyque avant 1569, chaque partie comportant 3 centuries, soit un ensemble de six centuries, donc sans les centuries canoniques IV, V, VI et VII, qui vinrent se greffer, en plusieurs étapes au cours des vingt années qui suivirent.

   Nous disions avant 1569, d'une part parce qu'en 1572 Crespin en fait état indirectement par sa compilation de quatrains, dans laquelle il ne fournit aucune numérotation d'aucune sorte, d'autre part parce qu'en cette année 1569 mourut le Prince de Condé, événement considérable dont nous avons dit qu'il aurait été inscrit de façon plus frappante qu'il ne le fut, s'il avait été connu avant la parution.

   Nous n'avons donc rien contre 1568 si ce n'est que de nombreuses éditions tardives, à dix centuries ou plus s'y référent de diverses façons et que certains nostradamologues n'hésitent pas à les dater carrément de cette année là. Peter Lemesurier1 nous demande pourquoi les faussaires auraient choisi la date de 1568 pour réaliser leur travail mais tout simplement parce que dans ce cas il ne s'agit pas d'un faux mais de la contrefaçon d'une édition ayant bel et bien existé et que nous désignons sous le nom de code BR 1568-1. Si le faux ne repose sur rien de concret, en revanche la contrefaçon se substitue à une publication ayant existé, ou confère à celle-ci un statut qui n'était pas le sien, comme les deux épîtres centuriques qui reprennent de vraies épîtres de MDN, ce qui fait dire à Peter Lemesurier que Videl atteste de l'existence de la Préface à César et donc, selon lui, de la parution alors de Centuries. Ce chercheur britannique, que nous avons croisé à St Rémy de Provence, en 2002, constate que l'on n'a malheureusement pas trouvé une quelconque Préface de MDN à son fils en dehors du cadre des éditions des Centuries. Certes, sinon il n'y aurait pas débat mais les témoignages convergents de Videl et de Couillard au sujet de la dite Préface ne mentionnent pas le moindre bout de quatrain centurique. Et puis il y a tout de même l'autre Epître, celle à Henri II, dont on sait qu'elle a bel et bien existé en dehors du contexte centurique avant de s'y infiltrer.

   Il convient de comparer les éditions qui revendiquent ce lien avec 1568 et avec Benoist Rigaud, le libraire lyonnais et dont toutes n'ont pas été conservées, que l'on connaît au moyen de recoupements.

      1 - L'édition à six centuries complètes.

      2 - L'édition à dix centuries complètes et incomplètes.

      3 - L'édition à douze centuries complètes et incomplètes, augmentée des Sixains et des Présages et de diverses annexes (XI-XII) repris du Janus Gallicus et des éditions de 1588 - 1589 (VII-VIII).

      4 - L'édition à dix centuries complètes et incomplètes, élaguée des Sixains et des annexes à la VII et à la VIII, ainsi que des centuries XI et XII.

   Récapitulons ce que nous savons de ces quatre éditions Benoit Rigaud (BR) 1568 :

L'édition BR 1568-1

   Editions à six centuries en deux volets complémentaire (rétrospectif et prédictif). Les bribes que l'on en connaît par Crespin2 nous conduisent à penser que certains versets ne se retrouvent pas dans le canon centurique tel qu'il se constitue dans 1568-3 et 1568-4. Le témoignage de Crespin semble exclure que d'autres centuries existaient alors, sinon concernant la centurie IV. Mais avec Crespin, il est question de contenu et non de numérotation des quatrains ou des Centuries. On ignore tout du mode de numérotation utilisé dans 1568-1. On sait par Antoine Crespin que figurait en tête de certaines centuries une Epître dédiée à Henri II dont on ignore le contenu exact.3 Un des tout premiers textes, hors éditions des Centuries, citant conjointement les deux Epîtres date de 1594, dans “Au Lecteur Bienveillant. Salut”, en tête du Janus Gallicus :

   “Bien que l'auteur mesme par modestie, en l'epistre prémise à ses Centuries & en celle qu'il adresse au Roy Henry II ait rejetté ce nom (il s'agit du terme Prophéties) & titre (dit-il) & sous telle enseigne ont esté imprimées cinq ou six fois & en quelques lieux il a appelé présages, prophétiques. Et en l'une des dites Epîtres soubs tierce personne (qu'est-ce à dire ?) il donne à entendre que par le moyen de Dieu immortel & des bons Anges (voilà ses mots) il a receu l'esprit de vaticination.”

   A lire ce passage, il n'est même pas certain que l'Epître à Henri II dont il est ici question figure dans le corpus centurique.

   Il existe une pseudo édition BR Rigaud 1 qui n'est en réalité que le clone de BR Rigaud 4. C'est cette édition qui est au coeur de nombre des controverses actuelles entre chercheurs, un peu comme Verdun, en 1916, pendant la Première Guerre Mondiale et que l'on désigne souvent comme “reprint Chomarat 2000”.

L'édition BR 1568-2

   Cette édition est signalée par Du Verdier en 1585, dans La Bibliothèque4 comme étant parue en 1568 chez Benoît Rigaud, de la façon suivante : “Dix Centuries de prophecies par quatrains qui n'ont sens rime ne langage qui vaille, impr. à Lyon par Benoist Rigaud 1568”. Il est bien peu probable que Du Verdier restitue ainsi le titre exact (cf. infra) sous lequel l'ouvrage fut publié, à la différence de ce qu'il fait pour les autres ouvrages de MDN qu'il recense et le combine avec un jugement négatif qui n'en fait certainement pas partie.

   Cette édition réalisée au début des années 1580 a probablement servi au Janus Gallicus pour la partie de son commentaire concernant les quatrains centuriques. Mais, comme pour Crespin, cela ne concerne qu'un nombre très limité de textes, cette foi dûment numérotés et coïncidant grosso modo avec les éditions canoniques BR 3 et BR 4.

   Cette édition devait comporter en sus du contenu de BR 1568 1, une centurie IV, constituée de deux parties, de 1 à 53 et de 54 à 100 et une centurie V complètes, une centurie VI à 71 quatrains et une centurie VII à 39 quatrains. La centurie VII de cette édition n'avait rien à voir avec celle des éditions canoniques mais se retrouve à la fin de la Centurie VI dans les dites éditions.

L'édition BR 1568-3

   Nous arrivons aux éditions qui ont été conservées intégralement. Il semble que ce soit le libraire Pierre Du Ruau qui ait publié des éditions se référant à Benoît Rigaud 1568.

      - 1605 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Reveues & Corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568.

   Cette édition du XVIIe siècle, parue sans nom de libraire en dehors de la référence à Benoist Rigaud, n'est d'ailleurs pas paru en 1605 mais plus tardivement.

   Cette édition est en fait calquée sur celle parue à Troyes chez Pierre Du Ruau, sous le même titre :

   Les Prophéties de M. Michel Nostradamus reveues & corrigées sur la copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud en l'an 1568.

   Le titre ne diffère que sur un point : Lyon par Benoist Rigaud 1568 et Lyon par Benoist Rigaud en l'an 1568.

   Elle reprend les centuries VI et VII telles qu'elles apparaissent dans l'édition d'Anvers 1590 - et probablement déjà dans l'édition rouennaise de Raphaël du Petit Val, datant de 15895 dont on ne peut savoir combien de quatrains il y avait à la VII, vu que les dernières pages manquent - mais avec une centurie VII renumérotée à 42 quatrains, alors que la dite édition de 1590 n'en comportait que 35. De l'édition d'Anvers, on note la disparition de la mention de l'addition à la IVe Centurie qui devait figurer dans l'édition BR 1568-2.

   Elle comporte tout un ensemble d'annexes qui ne figuraient pas dans BR 1568-2 :

   Elle repique du Janus Gallicus les présages, seulement ceux qui sont commentés, les quatrains des centuries XI et XII.

   Elle repique des éditions parisiennes des années 1580 / 1590 les quatrains des Centuries VII et VIII, qui sont placés à la suite de la présentation de type anversois. Mais elle supprime de la Centurie VII les quatrains figurant déjà dans le Janus Gallicus et repris au chapitre Présages.

   Elle introduit les sixains précédés d'une Epître à Henri IV datée de 1605, ce qui explique le recours à cette année pour l'édition signalée plus haut.

   En tout état de cause, les éditions BR-1568-3 ne prétendent pas être parues en 1568 mais avoir été établies d'après une édition de 1568. En revanche, il existe aussi des éditions portant référence à Lyon et à la date de 1568 mais sans référence à Benoist Rigaud.6

L'édition BR 1568-4

   Cette édition date du XVIIIe siècle. C'est une édition sérieusement élaguée par rapport à BR 1568-3 dont elle dérive et dont elle reprend la référence à 1568 et à Benoist Rigaud. On n'y trouve plus ni les Présages, ni les Centuries XI et XII, ni les Sixains, ni les suppléments aux centuries VII et VIII. Il y a comme dans les éditions précédentes les Epîtres à César et à Henri II mais pas la Vie de Nostradamus, telle qu'elle figurait dans nombre d'éditions du XVIIe siècle, ce texte étant issu du Janus Gallicus (Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame). Cette édition se présente carrément comme parue en 1568, chez Benoist Rigaud, sans référence à des corrections ou à des additions. C'est ce qui fait que chez les nostradamologues du XXe siècle, elle est souvent considérée comme authentique et correspondant exactement à l'édition parue en 1568, au lendemain de la mort de Nostradamus. Une édition datée de 1566 chez Pierre Rigaud (sic), fabriquée également au XVIIIe siècle, connaîtra également une certaine fortune chez les nostradamologues du XIXe siècle.

   On peut considérer cette édition comme rejetant intégralement tout l'apport du Janus Gallicus (Présages, centuries XI et XII, Brief Discours) et des éditions parisiennes ligueuses.

   Un tel élagage lui confère un cachet d'ancienneté trompeur par rapport à BR 1568-3.

   Quels sont les arguments qui conduisent à contester à cette édition de telles prétentions ? Ce débat est fonction du niveau de la recherche en nostradamologie / nostradamologique. Aux fins de justifier cette édition, un certain discours s'est mis en place qui considère que ce qui se manifeste à telle date ou telle date était déjà en place à l'origine et qu'on n'a fait que le perdre et le redécouvrir. Si la Centurie VII de l'édition d'Anvers de 1590 n'a que 35 quatrains, c'est qu'on en avait supprimé et qu'ensuite on les a retrouvés. En revanche, les annexes additionnelles sont éliminées comme ne se trouvant pas dans l'édition d'origine. Giffré de Rechac, dans son Eclaircissement des véritables quatrains de 1656 avait de fait rejeté toute une partie de l'édition BR 1568 3 et c'est probablement cette doctrine qui a marqué les éditions du XVIIIe siècle. De là à croire que ce faisant on allait retrouver un état premier, c'était aller un peu vite en besogne et ne pas faire la part de ce qui avait pu affecter le “noyau dur” centurique préservé.

   Comment en effet expliquer que les éditions de 1588 portent, après le 53e quatrain, la mention addition à la IVe Centurie7 et que l'édition BR Rigaud 4 ne la comporte pas ? Or, depuis qu'on a retrouvé des exemplaires Macé Bonhomme 1555, on sait qu'il a bel et bien existé des éditions à 53 quatrains à la IVe Centurie, étape vers une troisième lot de Centuries comportant une Centurie IV complète, une centurie V, une centurie VI à 71 quatrains puis pat la suite une centurie VI complète et une centurie VII à 35 quatrains pour atteindre 42 dans le canon centurique, au XVIIe siècle. Dès lors qu'une édition parue en 1588 indique que la centurie IV se constitua en deux temps n'a rien de surprenant et c'est probablement sous cette forme qu'elle figurait dans BR 1568 2 et pour cette raison qu'elle se maintint ainsi dans les éditions 1588 - 1589 jusqu'à ce que l'on décide de mettre fin à cette division interne dans l'édition anversoise de 1590 et dans les éditions Antoine du Rosne à 7 centuries, antidatées à 1557. Il est également assez étonnant que toutes ces éditions à 7 ou à 10 centuries comprennent une Centurie VI à 99 quatrains seulement, ce qui est aussi une caractéristique de l'édition St Jaure 1590. Or, les faussaires auraient pu compléter en restituant le quatrain 100 qui figure à sa place dans l'édition BR-1568 3 laquelle, sur ce point, est plus proche de BR 1568 2 que ne l'est l'édition anversoise.

   L'erreur des faussaires; si tant est qu'ils aient souhaité produire réellement une fausse édition 1568, est de s'être appuyé sur l'édition Anvers St Jaure 1590 sans se rendre compte que les éditions Paris 1588 - 1589 étaient fidèles à une représentation plus ancienne. C'est la même erreur que commettront ceux qui produiront les éditions 1557. Ce qui montre que les éditions BR 1568-3 et 1568-4 sont postérieures à l'édition 1590 tient, selon nous, au fait qu'à la fin de la centurie VII, on trouve la mention : “Fin des Professies de Nostradamus, réimprimées de nouveau sur l'ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Légat en l'an mil cinq cens cinquante cinq”. Or, une telle mention ne se retrouve plus dans les éditions postérieures, ainsi que dans les éditions antidatées 1557. Si l'édition anversoise avait été plus tardive que les dites éditions, aurait-elle comporté une telle explication in fine ? Il est probable, bien au contraire, que cette mention figurait en BR 1568-2, à la fin d'une centurie VII, mais constituée d'autres quatrains qui seront basculés vers la Centurie VI.8 Tout comme il est d'ailleurs probable que le même groupe de 7 centuries, au sein de BR 1568-2 comportait une Préface à César datée de la même année 1555. N'est-il pas logique qu'une telle édition commence par une épître datée de 1555 et s'achève sur une présentation se référant à cette même année ? On observera la forme de l'explicit : Professies de Nostradamus, que l'on comparera avec l'Extrait des registres de la Senechaucée de Lion (sic) qui comporte la forme Les Propheties de Michel Nostradamus. On se demandera si la forme Professies de Nostradamus n'est pas celle qui figurait dans BR 1568-1 et 2 au titre. Le fait de ne pas désigner l'auteur des dites Prophéties sous le nom de Michel Nostradamus mais simplement sous celui de Nostradamus tout court ne nous semble pas indifférent. Cela laisse entendre que l'auteur n'était peut-être pas précisément Michel de Nostredame mais un de ceux qui se revendiquaient de lui et qui recouraient certes à des dénominations évocatrices mais qui se démarquaient par un détail ou un autre de celle consacrée.9 Benoist Rigaud, au demeurant, semble avoir publié, à la fin des années 1560, des disciples de Michel de Nostredame plutôt que cet auteur en personne, du moins en matière prophétique.

   Mais si l'on devait admettre que la forme Nostradamus, tout court, ne renvoyait pas nécessairement à Michel de Nostredame, quid dans ce cas de la Préface à César, signée “Michel. Nostradamus” qui aurait introduit le volet en question et qui figure d'ailleurs en tête de l'édition St Jaure 1590 ? A noter que dans l'édition Macé Bonhomme, on trouve “ton père M. Nostradamus” comme dans l'édition Cahors Jacques Rousseau, 1590 et dans l'édition Antoine du Rosne 1557 (exemplaire de la Bibliothèque de l'Université d'Utrecht), le passage en question manquant dans l'exemplaire de Budapest. Il nous semble que le premier volet de l'édition de Cahors, datant de la même année que celle d'Anvers, a pu servir à la fabrication de l'édition Antoine du Rosne- Utrecht. D'ailleurs, il est question dans la plupart des éditions en tête de chaque division des “Prophéties de M. Nostradamus.”. L'édition d'Anvers fait doublement exception et comporte à la fin de la Préface “ton père Michel Nostradamus” ainsi qu'à chaque fois, en tête de toute centurie, la formule “Prophéties de Maistre Michel Nostradamus”. Cette variante au titre des centuries ainsi qu'à la fin de la Préface n'ont pas été signalées par P. Brind'amour.10 Nous en concluons que la forme initiale tant de la fin de la Préface à César que pour ce qui est des chapeaux des Centuries était en “Michel Nostradamus” et non “M. Nostradamus” et que les éditions BR Rigaud 1 et 2 devaient comporter une telle présentation qui ne figure ni dans les éditions Antoine du Rosne 1557 ni dans BR Rigaud 3 ou 4. Tout se passe comme si les deux éditions datées de 1590 constituaient une charnière : l'édition anversoise étant la plus proche de BR Rigaud 2 et l'édition de Cahors annonçant BR Rigaud 3 avec 42 quatrains à la VIIe centurie comme dans l'exemplaire 1557 Utrecht. En fait, si l'on s'intéresse aux mots mis en majuscules, on note que l'exemplaire 1557 Budapest ne comporte pas cette caractéristique, étant en cela conforme à Anvers 1590 tandis que l'exemplaire 1557 Utrecht la comporte étant en cela conforme à Cahors 1590. L'exemplaire 1557 Budapest avec 40 quatrains seulement à la VII pourrait correspondre à un état intermédiaire entre les éditions d'Anvers et de Cahors. De fait cet exemplaire, reprinté avec une présentation de R. Benazra (Ed. M. Chomarat, 1993) ne comporte pas d'avertissement latin (Legis Cautio) à la fin de la VIe centurie à l'instar de l'édition d'Anvers alors que l'édition de Cahors le comporte comme c'est le cas de l'exemplaire 1557 Utrecht. La suppression de cet avertissement11 manifeste un désir de supprimer toute trace d'additions, de restructuration interne. Cet avertissement marquait la fin de l'ancienne centurie VII concluant le premier volet, mais à partir du moment où l'on avait ajouté un nouveau train de quatrains, l'avertissement aurait du être repoussé à la fin de l'ensemble ou bien être supprimé, c'est cette dernière solution qui fut choisie ; toutefois, de nombreuses éditions maintinrent l'avertissement à sa place d'origine - soit sous la forme incorrecte de Legis cantio, soit sous celle, plus valable de Legis cautio12 - sans se soucier davantage de la physionomie générale de l'ensemble, pensant probablement que le dit avertissement faisait partie intégrante de la centurie VI alors qu'il avait valeur conclusive et ne faisait donc sens qu'à l'extrême fin du premier volet, ce qui montre d'ailleurs à quel point celui-ci était autonome par rapport au second. La genèse des Centuries évoque fortement l'histoire d'une ville - comme Paris - qui s'étend et qui doit supprimer ses enceintes successives, ses fortifications mais dont il reste toujours des traces ; les Centuries ont connu leur Baron Haussmann.

   Ajoutons que dans l'édition d'Anvers, la Préface à César est datée du 22 juin 1555 et non du Ier Mars. Dans ce cas, l'achevé d'imprimer de l'édition Macé Bonhomme 1555 serait inacceptable puisque datant du 4 Mai 1555. Cette date du 22 juin 1555 n'aurait rien d'aberrant et d'ailleurs est à rapprocher de celle du 27 juin 1558, qui est celle de l'Epître à Henri II. En outre, si l'Epître à César avait été datée du Ier mars 1555 comme il est indiqué sur les autres éditions, il y a aurait un problème de calendrier car le Ier mars 1555, à l'époque, correspondait au Ier mars 1556, le changement de millésime se produisant, avant 1564, à Pâques.

   Autant d'éditions ne comportant plus de subdivision à la IVe Centurie. Si les faussaires n'avaient pas commis une telle erreur, nous aurions des éditions Rigaud, Benoist (1568) et Pierre (1566), avec une centurie IV en deux parties et des éditions Antoine du Rosne, sur le même modèle et les historiens auraient alors du chercher d'autres critères pour démasquer ces éditions antidatées comme le critère Crespin, déjà signalé, qui permet de montrer que l'on ne connaissait pas en 1572 d'édition à dix centuries à l'instar de l'édition 1568 et aussi qui fait apparaître une matière textuelle absente des dites éditions alors que des dizaines de versets se retrouvent à l'identique chez Crespin et dans le canon centurique. On ajoutera comme critère la mention M. Nostradamus au lieu de Michel Nostradamus (cf. supra).

   Ce passage, survenant à la fin du XVIe, vers la forme M. Nostradamus, a de quoi intriguer tant à la fin de la Préface à César qu'en tête de chaque Centurie. En revanche, la page de titre des éditions des Prophéties conserve toujours la mention “M. Michel Nostradamus” voire “Maistre Michel Nostradamus” dans les éditions d'Amsterdam. Il est étrange, déjà, que Michel de Nostredame s'adresse à son fils en terminant par cette formule “ton père M. Nostradamus”. Ajoutons que l'Epître à Henri II comporte bien in fine Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petreae Provinciae. Mais on rappellera que le premier volet introduit par la seule Préface à César a connu une histoire propre et que dans les années 1588 - 1590, le second volet avait disparu de la circulation. Le second volet de l'édition de Cahors nous semble en effet rapporté.13 La série des Vrayes Centuries & Prophéties reste dans la ligne anversoise14 et ne recourt jamais à la forme “M. Nostradamus”, que ce soit dans la Préface à César ou en tête de centurie. En revanche, la série troyenne (Du Ruau, Chevillot) est plus proche du modèle Cahors, recourant à la forme que l'on retrouvera dans les éditions pseudo-rigaldiennes du XVIIIe siècle. Un cas curieux est celui de l'édition d'Amsterdam, 1667, qui tout en comportant un titre “long” ouvre chaque centurie par la formule reprise de l'édition d'Anvers dans ses chapeaux centuriques, à savoir “Les Prophéties de Me Michel Nostradamus” alors qu'en 1668, une autre édition d'Amsterdam, avec le même titre général introduit chaque centurie par la formule reprise du titre, “Les Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus”. Encore faut-il distinguer l'abréviation Me pour Maître de l'abréviation M. laquelle figure dans les diverses éditions antidatées.

   Ainsi, nous avons :

   une forme lourde en tête de chaque centurie :

      - Les vrayes centuries et prophéties de Maistre Michel Nostradamus. Centurie première et ainsi de suite (in Amsterdam, 1668, Lyon, Antoine Besson, s. d., mais déjà à Rouen, J. Cailloué et al, 1649).

   une forme que l'on pourrait qualifier d'abrégée :

      - Prophéties de M. Nostradamus. Centurie première (in 1555, 1557; 1566, 1568, Chevillot, Du Ruau etc).

   et une forme intermédiaire :

      - (Les) Prophéties de Maistre (Ed. Anvers) ou de Me (Amsterdam 1667) Michel Nostradamus. Centurie première, dont la forme brève pourrait être issue On retrouve cette forme anversoise à l'intérieur des éditions lyonnaises du XVIIe siècle comportant le portrait d'Auger Gaillard, l'homme au melon (voir aussi ed. Lyon, 1698).

   On notera que l'usage de l'article défini en tête de chaque centurie n'est attesté que dans les éditions d'Amsterdam et celles qui les reprennent comme celle du lyonnais Besson.

   Or, cette abréviation fait écho au titre de l'ouvrage: quand le titre général est long, le sous-titre pour chaque centurie l'est aussi et quand le titre général est court, le chapeau centurique l'est également (par exemple dans les éditions 1555, 1557, 1568 qui sont toutes à titre court, se réduisant au seul mot Prophéties, sans épithète ni apposition, à l'extérieur comme à l'intérieur). Idem pour l'édition non conservée Barbe Regnault 1560 et à laquelle il est référé dans les éditions parisiennes bien que ne mentionnant pas le nom du libraire. Cette édition, note J. Monterey, rendrait inconcevable une édition à 10 centuries dès 1558 puisqu'une édition à sept centuries parut encore en 1560 - 1561.15 En fait, l'argument tient surtout au fait que s'il y eut alors encore une addition “à la dernière centurie” comment aurait-il pu exister antérieurement une édition complète ? Ce type d'argumentation a ses limites car cela ne prend pas en compte les contrefaçons et le fait que les faussaires ne se concertaient pas nécessairement entre eux, n'accordaient pas leurs violons : une fausse chronologie ne disqualifie pas nécessairement une bonne (cf. infra).

   Signalons que notre propos ne vise pas, en revanche, les indications qui suivent le titre relatives au nombre de quatrains ou de centuries. C'est en fin de compte cette brièveté même du titre général - propre à tout ce lot d'éditions prétendument parues du vivant de MDN - qui nous semble suspecte. Il nous semble en fait probable que les premières éditions des Centuries et ce jusqu'aux éditions parisiennes non comprises, portaient des titres longs, dans le genre de ceux des éditions rouennaises et de l'édition anversoise (1588 - 1590), c'est-à-dire toujours le même : Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus16 et pas seulement un lapidaire Prophéties, ce qui nous permet de douter de l'authenticité de la Permission supposée accordée à Macé Bonhomme en avril 1555 et qui mentionne pour tout titre Prophéties de Michel Nostradamus, en accord avec le titre de la dite édition. Le témoignage de Du Verdier (cf. supra) ne nous éclaire guère sur le titre que portait l'ouvrage en 1585. Il semble bien qu'il y ait, comme nous l'avons écrit ailleurs, dans ces années là la fin d'une ère centurique et le début d'une nouvelle.

   Ainsi, cette forme incongrue et qui n'aurait certainement pas pu exister au lendemain de la mort de MDN, à savoir “M. Nostradamus”, semble bel et bien devoir trouver son origine dans les éditions parisiennes de la Ligue, elle est y attestée dès 1588 dans les mêmes lieux du texte qu'ultérieurement. On notera en revanche, dans les éditions parisiennes et dans celles qui en sont dérivées, que le titre de la Préface à César comporte bien la mention “M. Michel Nostradamus” mais cette forme ne réapparaît pas à la fin de la dite Préface. Cela nous conduit donc à penser que les éditions Macé Bonhomme 1555 Albi et Vienne et Antoine du Rosne 1557 Utrecht sont calquées sur les éditions des années 1588 - 1589 avec lesquelles elles ont en commun le M. Nostradamus, tant à la fin de la Préface qu'en tête de chaque centurie. Dans le cas d'Antoine du Rosne 1557- Budapest, le passage final de la Préface à César est tronqué mais on peut l'assimiler néanmoins à ce groupe.

   Au vrai, ce qui nous importe ici, c'est de conclure que cette forme abrégée incongrue, assez cavalière, qui correspond apparemment à un certain goût pour les initiales qui se développe à la fin du XVIe siècle - comme on l'a signalé chez Chavigny dans d'autres études sur ce Site - et inconnue, à notre connaissance, du vivant de MDN, du moins dans les publications qui le concernent, à commencer par ses publications annuelles, figure, de façon anachronique, dans les éditions des Centuries, prétendument parues en 1555, 1557 et 1568, qui nous sont conservées. Rappelons que nombre de nostradamologues17 placent l'édition BR 1568-4 en position initiale de BR 1568-1, ce qui fait tout de même une différence de près de deux siècles.18

   De quand datent les faux 1555, 1557 et 1568 ? Nous avons dit qu'ils s'inspirent des éditions de la fin du XVIe siècle. Est-ce à dire qu'ils furent produits à cette même époque ? Si nous répondons par la négative, cela implique que les éditions de cette époque furent conservées. Il convient certes de distinguer ici le cas de l'édition antidatée à 10 centuries BR 1568-4 mais aussi PR 1566 dont nous avons montré dans de précédentes études qu'elles dérivaient des éditions du XVIIe siècle - on notera d'ailleurs que la Préface à César dans les éditions comporte la mention in fine “ton père Michel Nostradamus” à la différence des éditions 1555 - 1557 et les éditions antidatées à 4 et à 7 centuries. Nous pensons que ces éditions de par leur format même appartiennent à la fin du XVIe siècle et attestent ainsi de l'éclipse du second volet centurique et de l'Epître à Henri II tout au long du règne d'Henri IV.(1589 - 1610), lequel second volet n'est plus connu, alors, que par les quelques extraits qu'en donne le Janus Gallicus, dans ses commentaires et dans son Epître postface à d'Ornano (1594). Encore en 1620, le Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus imprimées en l'année 1555, commentant le conflit de Louis XIII avec sa mère, Marie de Médicis - et qui adopte la référence de l'édition d'Anvers à une impression de 1555 - ignorera les Centuries VIII-X et ce n'est peut-être pas par hasard.

   Les éditions à 4 et à 7 centuries ne font guère sens au XVIIIe siècle alors que tout le monde s'est depuis longtemps habitué à un ensemble plus important, plus ample qui atteint une douzaine de centuries, complètes ou non. Elles présentent de fortes similitudes avec la production des années 1588 - 1590 et notamment avec les éditions parisiennes avec cette forme incongrue “ton père M. Nostradamus”. L'édition à 4 centuries s'explique par la présence d'une édition rouennaise à quatre centuries, datée de 1588 ainsi que par la marque de l'addition après la 53e quatrain de la IV dans les dites éditions parisiennes. Quant à l'édition à 7 centuries, notamment 1557- Utrecht, elle nous semble calquée sur l'édition de Cahors datée de 1590 (conservée à Rodez) et qui comporte une centurie VII augmentée par rapport à celle d'Anvers. On rappellera que la pratique générale des libraires veut qu'une édition antidatée paraisse conjointement avec une édition correctement datée ou non datée, laissant entendre ainsi qu'ils ont reproduit une édition ancienne qui vient crédibiliser la nouvelle édition conforme. Ainsi, l'édition Antoine Du Rosne 1557-Utrecht serait l'alibi de l'édition Cahors J. Rousseau, 1590, du moins en son premier volet. De tels alibis ont contribué considérablement, on le sait, et réussi, à ce jour, à égarer nombre de bibliographes.

   En fait, le débat a changé de portée : il ne s'agit plus de se demander si l'édition BR Rigaud 4 est la plus ancienne, si elle coïncide avec BR Rigaud 1 ou 2 mais si elle a été réalisée au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Rappelons que pour nous BR Rigaud 4 a deux expressions : l'une datée du XVIIIe siècle et l'autre, qui lui sert d'alibi, antidatée à 1568, soit le même cas de figure que dans la relation Cahors 1590 / Antoine du Rosne Utrecht 1557. On nous objectera peut-être que la dite édition datée de 1568 pourrait s'intercaler entre BR 1568 2 et BR 1568 3, c'est-à-dire qu'elle correspondrait à une édition antérieure aux éditions troyennes à trois volets et non pas postérieure. Dans ce cas, elle serait la matrice des dites éditions et non un dérivé de celles-ci. Rappelons d'abord que personne ne conteste qu'au XVIIIe siècle on ait confectionné des éditions antidatées - la plus connue étant l'édition Pierre Rigaud 1566 - et comportant des coupures par rapport aux éditions du siècle précédent. On peut certes soutenir que ces éditions là ne font que reprendre des éditions antérieures aux additions propres aux éditions troyennes et hollandaises et d'ailleurs les bibliographes ne se privent pas de signaler des éditions rigaldiennes à dix centuries à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. C'est donc bien sur ce point que se situe désormais le seul débat sérieux, autrement dit il ne saurait plus guère être question de situer la dite édition (modèle reprint Chomarat, 2000) dans les années 1550 - 1560 puisque toute recherche ménage nécessairement de nouveaux débats mais évitons les controverses d'arrière-garde ! En tout état de cause, que cette édition soit post-Ligue est pour nous une affaire entendue.19

   On observera que les éditions post-Ligue, à deux volets sont marquées par le Janus Gallicus avec des quatrains de la XI et de la XII, comportent les Présages tirés du même recueil avant qu'on y ajoute des éléments des éditions parisiennes pour les Centuries VII et VIII. On imagine mal que les éditions des années 1590 ne comportent aucune de ces additions et que par la suite, alors que le Janus Gallicus (1594) est de plus en plus lointain ainsi que les éditions parisiennes 1588 - 1589 on vienne à s'y intéresser. Car ce qui frappe le plus, c'est le décalage total entre la dite édition BR 1568 et le Janus Gallicus qui lui serait, selon d'aucuns, contemporain. En revanche, on comprend très bien qu'au XVIIIe siècle, on ait pu juger ces additions encombrantes : encombrants les Présages allant jusqu'en 1567 dans des éditions se voulant reprendre un matériau datant de 1558, date de l'Epître à Henri II ; encombrantes ces centuries XI et XII ne collant pas avec la présentation de la dite Epître, axée sur la miliade, encombrants encore ces quatrains additionnels à la VII et à la VIII et qui faisaient désordre sans parler des sixains. Avec la dite édition BR 1568-4, il ne reste rien de ces scories, on a renoué avec une certaine virginité du texte, débarrassé de sa gangue. Mais cette sensation de virginité ne fait sens que par opposition à BR 1568-3. Il n'empêche qu'en procédant ainsi à cet élagage, les faussaires ont réalisé un chef d'oeuvre qui aura tenu longtemps en échec les chercheurs. Selon nous, deux erreurs en sens inverse furent commises.

      - l'une aura consisté dans le positionnement de l'avertissement latin à la fin de la VIe centurie, probablement en croyant qu'il s'agissait là du quatrain 100 “orange” absent de certaines éditions et notamment de toutes les éditions antidatées.

      - l'autre aura été, au contraire, de ne pas maintenir la centurie IV en ses deux parties et d'y avoir fait disparaître la marque de l'addition.

   Dans un cas, il y a eu inadvertance, dans l'autre excès de zèle.

   Par ailleurs, l'on ne saurait aborder la question des éditions BR 1568 sans s'interroger sur l'Epître à Henri II et la formule “ces trois Centuries, du restant de mes Prophéties, parachevant la miliade”. Précisons d'emblée que cette expression ne figurait certainement pas dans BR 1568-1, qui ne comportait selon nous que sept centuries tout au plus et qu'elle convient mal pour les éditions à 12 centuries, qui est la norme au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. La période correspondant à une édition à 10 centuries est relativement brève, si l'on laisse de côté le XVIIIe siècle, puisque cette Epître est déjà connue sous la forme en question dans les éditions à 12 centuries, sans que cela ait d'ailleurs posé problème. Cette version appartient vraisemblablement aux années qui firent suite à l'assassinat d'Henri IV, en 1610. Il est possible qu'il y ait eu une édition à dix centuries en 1611 mais ce n'est pas celle (Troyes, Pierre Chevillot) qui nous est parvenue et qui n'en serait que la contrefaçon comportant des annexes anachroniques. On pourrait prendre 1611 comme base de travail de la mise en place d'une édition à dix centuries disposant de la version canonique de l'Epître à Henri II. En effet, nous ne pensons pas qu'en 1585 on ait pu avoir connaissance d'une édition à 1000 prophéties ou quatrains, qui aurait justifié l'usage du mot “miliade”, alors que selon nos précédents travaux, la centurie VI n'avait que 71 quatrains et la centurie VII 39, soit un déficit de plusieurs dizaines de quatrains pour atteindre un millier. Mais en quoi la situation en 1611 aurait-elle changé la donne ? Nous avons déjà expliqué que de nouveaux quatrains avaient été ajoutés sous la Ligue et que l'on se rapprochait donc plus sérieusement du seuil des mille sans y atteindre pour autant tout à fait. Mais il existe une autre explication qui rend possible, en fin de compte, l'usage de cette formule déjà dans BR 1568-2. En effet, si l'on admet la fiction selon laquelle cette Epître à Henri II daterait de 1558, nous avons là l'indication que MDN a bien alors produit 1000 quatrains. Mais on sait également que ces quatrains il les garde par devers lui ou au mieux qu'il les fait circuler sous forme manuscrite notamment à l'intention du Roi. Autrement dit, une chose est que MDN ait produit autant de quatrains, une autre ce qu'il en reste et le cas des centuries XI et XII dont on ne nous fournira que quelques quatrains, par le truchement du Janus Gallicus, témoigne d'un tel décalage entre la centurie achevée et l'état de sa conservation. Autrement dit, l'annonce d'une miliade vient avant tout justifier un nouveau train de Centuries (IV-V-VI-VII) supposées retrouvées ou restituées incomplètement. Le paradoxe de la dite Epître tient au fait que le “parachèvement” ne tient en réalité pas aux centuries faisant suite à l'Epître mais à celles qui se sont greffées tardivement, dans les années 1580, sur le lot introduit par la Préface à César. Un tel procédé suppose que le lecteur est persuadé que la Préface à César, selon la fiction entretenue par l'édition d'Anvers, est parue dès 1555 sous la forme de sept Centuries. Quand on sait que le public avait pu prendre connaissance d'une édition à 4 centuries seulement, parue peu avant celle à 7 centuries20 l'on est en droit de se demander comment on a pu laisser croire que les dernières Centuries parues étaient les VIIIe, IXe et Xe, par delà le fait de leur numérotation. On comprend dès lors qu'il s'agissait avant tout de donner le change et ce serait un anachronisme de ne pas voir que l'on fait parler un mort et que la thèse d'une oeuvre posthume progressivement exhumée est à l'honneur. Et ce d'autant que, bien entendu, l'important était bien, à l'époque, de conférer la plus grande ancienneté à la rédaction des dites Centuries. R. Benazra se déclare choqué par notre étude des intentions des rédacteurs de cette Epître contrefaite. Il nous semble cependant assez patent que cette Epître partait du principe que les lecteurs n'avaient pas eu connaissance que les Centuries VIII-X ou du moins les quatrains qui leur correspondent étaient déjà parues dans le passé, comme en témoigne Crespin. Il faut se resituer dans la période post-Ligue où les éditions à 10 centuries avaient disparu au profit d'éditions à 7 centuries (I-VII) et il semble bien qu'on ait voulu faire croire avec une épître une fois de plus remaniée qu'il s'agissait de textes restés posthumes et “jamais encore imprimées” comme indiqué au titre du second volet canonique. En conséquence, nous ne pensons pas que la formule “à la miliade” ait figuré dans les années 1580 lors de l'édition à 10 centuries de quatrains signalée par Du Verdier, laquelle était loin de comprendre d'ailleurs 1000 quatrains. La formule à la miliade, selon nous, ne serait apparu qu'au XVIIe siècle lorsqu'il s'agit d'introduire à nouveau le second volet, éclipsé, faisant son come back, non sans probablement quelques retouche et elle nous semble singulièrement convenir à une édition comportant les 58 sixains, venant compléter les 42 quatrains de la VII, la seule centurie restée incomplète, si l'on laisse de côté le problème du 100e quatrain de la VI, en prenant en compte l'avertissement latin ou en ajoutant un 101e quatrain à la X, comme on peut le voir dans l'édition probablement faussement datée de 1605. Les rédacteurs de cette nouvelle Epître à Henri II devaient ainsi essayer de faire croire que les 58 sixains étaient déjà anciennement présents au sein de l'ensemble. On voit donc que l'astuce en instrumentalisant une épître datée de 1558 était de faire croire que les centuries au delà de la IIIe et de ses 53 premiers quatrains que les sixains étaient bien connues de MDN puisque dans son épître, il laissait entendre que 700 quatrains étaient déjà parus lors de la rédaction de la dite Epître.

   Reste à aborder une autre question lancinante : si l'on admet que les Centuries ne sont pas parues du vivant de MDN - même si elles sont supposées avoir été composées dans les années 1550 - et que les éditions conservées ne datent pas des années 1550 ni même 1560, mais sont posthumes, convient-il - sous la forme BR 1568 - de les attribuer ou non à Michel de Nostredame ? Pour notre part, nous ne le pensons pas : d'abord parce qu'un tel ouvrage ne correspond pas selon nous à ce qu'aurait pu réaliser cet auteur, il ne comporte aucun mode d'emploi et notamment aucun cadre chronologique explicite accessible au lecteur. En outre, il est constitué d'épîtres contrefaites inspirées d'épîtres parues, elles, du vivant de MDN et sa plume, l'une dont on connaît l'existence par Couillard qui ne signale aucun quatrain dans l'ouvrage qu'il décrit21 et l'autre placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557, reproduite in extenso et en fac simile dans nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus.

   Il y a là une énigme : comment lit-on les centuries lors de leur sortie pseudo-posthume, autour de 1568 ? Est-il possible que BR 1568-1 se soit présenté sans aucun support chronologique facilement utilisable ? On nous parle de leur prétendu succès populaire. Croit-on sérieusement que le public se satisfaisait de piocher au sein de plusieurs centaines de quatrains le “bon” quatrain collant avec tel événement et sans aucun commentaire pour au moins le guider et attirer son attention ? Nous ne croyons pas davantage à un quelconque codage, en dehors bien entendu du fait que le quatrain prophétique a vocation à être allusif, à évoquer quelque signifié, soit en raison d'une volonté délibérée de son auteur, soit en ce qu'il concerne des situations récurrentes et qui par conséquent vont se représenter. Rappelons qu'au XVIIe siècle, nombre d'éditions parurent avec un commentaire, notamment les éditions hollandaises des années 1660, en tant qu' “Observations sur ses Prophéties”, formule figurant sur la page de titre et à l'intérieur mais aussi les contributions du chevalier de Jant, sous le titre figurant au dessus de la marque du libraire, “Centuries expliquées par un Scavant de ce temps” et à l'intérieur en tant que “Remarques Curieuses de Michel Nostradamus”. Nous avons la faiblesse de croire que les Prophéties de MDN comportèrent au départ un tel type de commentaire en annexe. Force est de constater que les éditions paraissant entre 1588 et 1649 n'en comporteront pas et que le Janus Gallicus paraîtra à part en 1594 et 1596. Il est possible que le manque de commentaires à certaines époques coïncide avec l'addition de nouveaux textes sur mesure, dispensant d'avoir à interpréter les anciens, comme dans le cas des sixains. L'habitude du commentaire joint aux Centuries reprendra au milieu du XVIIe siècle alors que le canon nostradamique semble désormais définitivement fixé / figé et se maintiendra, non sans que des commentaires paraissent d'ailleurs en parallèle.22 Puis au cours du XVIIIe siècle, on reviendra aux Centuries “sèches”. Nous ne serions, en tout cas, pas surpris si on devait un jour remettre la main sur BR Rigaud 1568-1 de trouver les Centuries accompagnées d'un commentaire et nul ne saurait prétendre que la Préface à César en constitue un puisqu'elle ne cite aucun quatrain. En revanche, on peut y voir l'annonce d'un tel commentaire qui pouvait fort bien figurer à sa suite et qui aurait fort bien pu être attribué à Michel Nostradamus. Apparemment, ce pseudo-commentaire a disparu à moins qu'il n'ait été en partie ou en totalité au sein du Janus Gallicus dont on soulignera, une fois de plus le fait, qu'il renvoie, en son titre, Première face (...) extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame. Ainsi, considérons-nous comme probable que l'exégèse nostradamique ait accompagné très étroitement les éditions des Centuries et il nous semble quasiment inconcevable qu'il ait fallu attendre 1594, soit un quart de siècle, pour disposer d'un commentaire, à savoir celui du Janus Gallicus. D'ailleurs, dans les Significations de l'Eclipse de 1559 - qui sont une contrefaçon23 - il est fait allusion à un tel commentaire : “comme plus amplement est déclaré à l'interprétation de la seconde centurie de mes Prophéties”.24 Or, on n'a pas retrouvé un tel commentaire organisé centurie par centurie et qui, selon nous, devait accompagner, être carrément inclus dans BR 1568-1. C'est dire, une fois de plus, à quel point BR 1568-4 dépourvu d'un tel commentaire ne saurait prétendre à être identique à BR 1568-1 et c'est une carence de plus de la part des faussaires du XVIIIe siècle que de n'avoir point produit un tel document explicatif, pendant qu'ils y étaient.

   Nous voudrions terminer la présente étude par quelques réflexions de bon sens ou plutôt par quelques raisonnements par l'absurde. Certains pourraient être en effet tentés de soutenir la thèse inverse de la nôtre et affirmer que ce sont les éditions parues du vivant de MDN qui ont servi de modèle aux éditions ultérieures et non l'inverse. Mais cet argument ne tient pas : quand j'emprunte à quelqu'un ce qu'il a fait, de deux choses l'une : ou bien, je fréquente cette personne et suit son évolution ou bien cette personne a cessé depuis longtemps d'évoluer - notamment si elles est morte depuis belle lurette - et dans ce cas je ne découvre pas au fur et à mesure son oeuvre mais prends connaissance de son expression finale. On voit donc mal comment, coup sur coup, telle édition parue sous la Ligue prendrait modèle sur telle édition Antoine du Rosne 1557 puis sur une autre, augmentée. En revanche, si je désire crédibiliser mon oeuvre au fur et à mesure qu'elle augmente, je peux tout à fait être amené à fabriquer coup sur coup deux éditions Antoine du Rosne, étant donné que je n'avais pas nécessairement anticipé sur un développement ultérieur. C'est toute la différence entre la gestion du passé déjà révolu et la gestion d'un avenir encore inconnu. De même, alors qu'il semble inconcevable qu'un auteur publie une édition plus complète avant une édition qui l'est moins, en revanche, s'il s'agit de contrefaçons tardives dotées de dates plus ou moins fantaisistes, et où l'on ne se préoccupe pas spécialement ni n'est au courant de toutes les contrefaçons ayant déjà pu être réalisées entre temps, étant donné que tout cela ne dépend plus d'un seul et même auteur, d'une seule et même initiative, qu'il s'agit somme toute de la constitution d'un passé et d'une histoire parfaitement fictifs, cela n'a plus grand chose d'extraordinaire. On observera, en fin de compte, que ce qui frappe le plus dans le dossier Nostradamus, ce n'est pas tant la difficulté à explorer le futur mais bien à baliser le passé !

   Nous en profitons pour répondre à Robert Benazra, qui vient de produire, sur son Site, une étude assez étoffée consacrée à nos travaux qu'il désigne sous le titre de “thèse du complot”, reprenant largement les arguments mentionnés dans le n° 26 du Cura.free.fr, c'est-à-dire il y a déjà six mois environ.

   Ce qui nous frappe, c'est ce dont il ne dit mot pour s'arrêter souvent sur des points secondaires et qui ne constituent nullement la trame de notre thèse ; rappelons que nos études constituent non pas un livre fini, comme l'est notre thèse d'Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune (1999) ou nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus (2002), mais une chronique de recherche, tenue au cours de l'année 2003, vouée à de constantes remises en question de nos propres observations et réflexions et ayant avant tout valeur heuristique. Il convient donc de nous lire sous un angle diachronique et non sous un angle synchronique. Il eût notamment été intéressant d'analyser l'évolution de notre travail - notre devise étant “Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage” - et le fait que nous ayons testé et mis à l'épreuve tour à tour plusieurs modèles successifs. D'ailleurs, sauf erreur de notre part, il ne nous semble pas que R. B. ait pris la peine, dans son projet récapitulatif, de lire les 350 pages consacrées aux Centuries dans notre thèse d'Etat (volume 3) qu'il a pourtant en sa possession.

   C'est ainsi que l'argument concernant l'anachronisme de certains quatrains a été depuis longtemps délaissé par nous et R. Benazra a beau jeu de citer un article de 1997, qui n'est même pas consacré au seul Nostradamus25 datant donc d'il y a sept ans environ et dont il veut se convaincre que toutes nos convictions y sont résumées ! Pourquoi aussi ne pas citer quelques pages figurant dans Le monde juif et l'astrologie, histoire d'un vieux couple, Milan Arché, Milan 1985, ou encore un article de 1991 dans la revue Politica Hermetica ?

   R. Benazra veut que l'édition d'Anvers 1590 et ses 35 quatrains à la VII ait supprimé des quatrains alors que nous pensons au contraire que ce fut la première mouture de la dite Centurie. Il n'apporte aucune preuve qu'il y ait précédemment existé une édition à 40 ou 42 quatrains à la VII, l'édition rouennaise de 1589 étant tronquée. Il ne s'arrête pas davantage sur le problème de l'avertissement latin situé à la fin de la VI ou entre la VI et la VII. Il ne tient pas davantage compte de la présence ou l'absence de coupure à la IVe centurie. Cela dit, reconnaissons-le, R. Benazra a raison d'insister sur l'importance extrême que nous accordons aux éditions parues au cours des années 1588 - 1590.

   R. Benazra souligne, à juste titre, le fait que le public a bien du mal à repérer un quatrain perdu dans la masse mais cela pose précisément le problème du commentaire joint aux premières éditions et dont on ne trouve pas trace dans celles qui se prétendent telles. L'absence de commentaire, par la suite, pourrait s'expliquer par le fait que l'on a préféré produire de nouveaux quatrains, notamment à la VIIe Centurie, plutôt que d'interpréter des anciens. Quand le canon se fige, le rôle des commentaires s'accroît comme on le voit dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Mais la disparition d'un quatrain peut être significative et l'absence du quatrain concernant Tours (IV, 46) dans les éditions rouennaises pourrait signifier qu'il s'agit d'éditions contrôlées par le camp réformé mais comme le rappelle R. Benazra, le dernier quatrain de la IV reste numéroté 53, alors que le dernier quatrain de la VII dans l'édition anversoise est bel et bien numéroté 35 et non 40.

   Sur la question des fausses éditions des almanachs et prognostications, nul ne conteste que Ruzo ait eu dans les mains une Prognostication pour 1555 comportant des quatrains. Il s'agit de savoir si ce texte est ou non une contrefaçon maladroite et appartenant aux années 1580, deux versets d'un quatrain de la dite Prognostication - celui pour le mois de mars - étant cités en 1585 par Crespin, dans sa Prognostication astronomique pour six années, BM Lyon, Res 315 92026, ce qui tendrait à montrer la vogue des Présages à cette époque comme cela ressort du Janus Gallicus.

   R. Benazra évacue allègrement le problème des Significations de l'éclipse de 1559, auxquelles Théo Van Berkel a consacré pas mal de temps, sans se rendre compte qu'il y est mis l'accent sur un commentaire centurie par centurie qui fait cruellement défaut aux éditions concernées. Que ce texte soit un faux ne change rien à l'affaire puisque, selon nous, tout le processus centurique, à ses débuts, relève d'une mise en scène posthume, de l'exhumation de textes restés inédits et touchant des Centuries singulièrement absentes par ailleurs du vivant de MDN. Ce que nous trouvons étonnant, c'est que R. B. n'accepte même pas la thèse que les faussaires avaient voulu imposer, celle d'une production post mortem. Il va donc bien au delà des desiderata des dits faussaires. Il ne comprend pas à quel point il était indispensable que Nostradamus ait composé les Centuries longtemps avant leur parution, de façon à pouvoir faire un bilan positif de ses prophéties dès leur parution De là à chercher dans ses quatrains le récit d'événements datant du XIVe siècle, il ne faudrait quand même pas basculer dans l'absurde : cette thèse d'un Nostradamus historien n'a de sens que pour les années 1530 et suivantes, ce qu'atteste d'ailleurs le Janus Gallicus, en son titre et en son avis au Lecteur (p. 20) : “Je commence ce premier livre dez l'an 1534, que l'opinion & secte de Luther est entrée en France etc”, ce qui concerne “les quatrains qui sont environ trois cens cinquante” et sont ainsi désignés sous un même vocable sans distinction ceux des almanachs et ceux des Centuries : on compte exactement 347 commentaires. Et par conséquent soutenir que tel quatrain concerne non pas tel pape du XVIe siècle mais un pape ayant régné deux siècles plus tôt ne peut que faire sourire. Quel beau prophète que celui qui compile des livres d'histoire. On nous reproche de refuser à MDN des dons prophétiques mais c'est plutôt une prédilection pour le Moyen Age voire pour l'Antiquité que nous mettons en cause. Si encore, on avait voulu faire passer l'auteur de ces quatrains comme appartenant au XIIIe siècle comme Saint Malachie et sa prophétie des papes mais il s'agit d'un médecin astrophile né en 1503 !

   Quant à faire du Janus Gallicus, un auteur anti-catholique, certainement pas encore qu'il donne le change dans son Epître à d'Ornano mais l'étude attentive des commentaires fait bien ressortir que ses adversaires sont bien les Huguenots et qu'il parle en homme de la Ligue quand il dit que “les nôtres” ont vaincu. En revanche dans sa postface à la gloire d'Henri IV, il ne manque pas, retournant sa veste, de rappeler que les Centuries annoncent la victoire de Mendosus sur Norlaris. Certes, un tel affrontement n'était pas nouveau et date en fait de la mort d'Henri II quand les Guise et les Bourbons vont s'affronter, notamment au lendemain de la conspiration d'Amboise de 1560. Et c'est bien pour cette raison, en effet, que sous la Ligue les Centuries concernées seront persona non grata. Nous parlions tout à l'heure de quatrains gênants pour les uns ou pour les autres.

   A propos de l'argument Crespin, R. Benazra n'est toujours pas convaincu que cela prouve que certaines centuries n'avaient pas cours à l'époque, en 1572. L'idée qu'un nouveau lot de quatrains ait pu se mettre en place après cette date est-elle si incroyable ? En fait, face à cet argument béton, R. Benazra n'a d'autre issue que de mener une guérilla sur tel ou tel point de détail en d'autres points du front pour faire diversion. Mais on y revient toujours : les faits sont têtus et les nouvelles centuries ne parviendront à leur formule finale - celle reprise dans les éditions datées de 1557 et 1568 - qu'à la fin des années 1580. D'ailleurs, l'existence même d'une édition Macé Bonhomme 1555 à 4 centuries - ainsi que chez R. Du Petit Val en 1588 - dont une incomplète vient renforcer notre thèse ainsi que l'indication d'une addition après le 53e quatrain de la IV dans les éditions parisiennes de la Ligue. D'ailleurs, R. Benazra ne saurait contester que l'on a d'abord connu une édition à 4 centuries, le problème étant à quelle date on a ajouté des quatrains au premier volet, sans autre explication. Est-ce avant ou après la parution des Centuries VIII-X ? Bien entendu, on ne relèvera pas l'argument anachronique fondé sur la numérotation des Centuries - pourquoi, demande R. Benazra, avoir “sauté” des Centuries ? Mais existaient-elles ? - dont on n'a pas la moindre preuve qu'elle coïncide avec celle des éditions datées du vivant de MDN avant les années 1580 ; si ce n'est dans le cas de l'Androgyn, selon nous antidaté à 1570, qui signale un quatrain de la Centurie II en fournissant ses coordonnées conformes à celles du canon. Voilà pour tout potage : une seule référence doublement chiffrée (centurie / quatrain) et encore douteuse avant 1588 !

   R. B. cherche à déconsidérer nos sources - Crespin, les éditeurs parisiens de la Ligue - comme si cela pouvait être un argument : En quoi le fait que Crespin soit un imitateur de MDN enlève-t-il du poids au fait qu'il ne se soit pas servi de certaines Centuries qui comme par hasard coïncident avec les additions qui eurent bel et bien lieu après le 53e quatrain de la IV et pourquoi les libraires parisiens auraient-ils pris la peine de couper la centurie VI en deux, l'arrêtant après le 71e puis le 74e quatrain ? Or, c'est précisément là que le bât blesse : ces quelques quatrains ajoutés après le 71e quatrain, comme cela est attesté par un Pierre Ménier, dans une édition non datée, se retrouvent dans la VIIe centurie canonique, tant dans l'édition d'Anvers 1590 que dans les éditions qui suivront, y compris dans les éditions 1557 et 1568 sans aucune exception. Evidemment, on nous répondra : mais ces 3 quatrains additionnels sont réapparus entre temps ainsi que la suite et la fin de la Centurie VI ! Comme tout à l'heure, pour la centurie VII, avec ses 35 quatrains qui deviennent 40, probablement. Rappelons que pour nous, il y eut plusieurs contenus à cette Centurie VII, laquelle, à un certain stade, se déversa dans la Centurie VI, laissant la place pour un nouveau lot de quatrains. Quant au fait que les éditions parisiennes soient datées de 1557 et non de 1555 à la Préface à César, on peut raisonnablement se demander si cela ne vient pas expliquer le choix de l'an 1557 pour les éditions Antoine du Rosne à 7 centuries. C'est là une promiscuité quelque peu embarrassante, n'est-il pas vrai mais n'est-ce pas aussi la preuve de l'importance matricielle, “en aval”, comme dit R. B., des éditions de la Ligue pour la production des fausses éditions 1555, 1557 et 1568 ? Qu'on nous explique comment on est passé de 1555 à 1557 à sept centuries sans aucune marque d'addition au milieu de la IV alors que les éditions parisiennes de la Ligue, trente ans plus tard, signalent explicitement cette addition !

   En fait, tout ce qui dérange R. B. est passé sous silence à commencer par ce passage des Prophéties de Crespin à la fin de l'adresse au duc d'Alençon et qui ne se trouve dans aucun quatrain connu ou encore le problème de l'existence d'une première Epître à Henri II, en tête des Présages Merveilleux pour 1557 ou la mention de Vaticinations Perpétuelles dans la Préface à César ou l'absence de référence posthume à un auteur récemment disparu dans BR 1568-4 qu'il considère comme BR 1568-1. et ainsi de suite.

   Quant aux faux almanachs et aux fausses pronostications, R. B. semble partir du principe qu'ils sont nécessairement contemporains des publications authentiques et en fait qu'ils sont sortis la même année. N'est-il pas vrai, fait-il remarquer que MDN se plaint, dès 1557 et encore dans les almanachs pour 1565 et 1566 d'imitateurs ? Mais il est quand même bien dommage que ce soient toujours dans ces contrefaçons que l'on trouve des passages concernant les Centuries ou l'Epître centurique à Henri II, que ce soit telle Prognostication pour 1562, tel almanach pour 1563, tous deux parus chez Barbe Regnault ou pour 1565, chez Thibaut Bessault (décrit par Elmar Gruber dans “the plot”, CURA 26) avec, dans le cas des deux almanachs, des vignettes réservées aux prognostications, erreur qui ne se conçoit que dans une époque fort décalée d'avec celle de MDN car en l'occurrence, il s'agirait d'une bien médiocre imitation dès la page de titre non conforme. Mais il est vrai que si l'on suivait notre raisonnement, on en arriverait à démontrer que les éditions de 1555 et 1557, lesquelles comportent ces mêmes vignettes des prognostications sont de la même veine et probablement de la même époque - sans parler en effet du cas de la vignette figurant bizarrement sur la traduction de la Paraphrase de Galien, dont il n'est même pas l'auteur et dont le caractère n'est même pas astrologique, ni de près ni de loin. On a là un bon exemple d'un rejet de la part de certains de tout critère de datation - pourtant si important pour les historiens de l'art notamment : voilà donc que l'on souligne que l'usage impropre du code de la vignette dans l'oeuvre de MDN pourrait servir à détecter des faux tout comme la présence incongrue de quatrains dans une Prognostication, eh bien, on ne veut pas en entendre parler, on passe outre, sans problème ! Voilà deux almanachs dont on nous dit qu'ils sont faux, ceux pour 1563 et 1565 et de fait dans les almanachs jugés authentiques pour ces deux almanachs, on ne trouve pas une telle vignette, ce qui nous semble montrer que les imitateurs n'avaient pas les almanachs sous les yeux et qui montre qu'il s'agit plus de faux que de contrefaçons, et dont la vraie vocation est toute autre que celle d'être vendus pour servir en parallèle avec les originaux, contrairement au raisonnement de Gruber. Voilà donc deux “faux” almanachs qui se caractérisent précisément par la présence d'une vignette non conforme à celle que l'on peut observer pour les almanachs de 1561, 1562, 1563 et 1566 et on vient nous dire ensuite que le critère de la vignette n'est pas à prendre en considération ! C'est qu'évidemment, la pente est glissante et qu'avec cette affaire de faux almanachs, on risque d'aller un peu trop loin et de porter ainsi atteinte à l'authenticité d'autres documents. Halte là ! Et puis il y a les éditions parisiennes de la Ligue, de la veuve de Nicolas Roffet et de Pierre Ménier qui comporte aussi une telle vignette. La démonstration iconographique est accablante : on décide de l'ignorer !. D'ailleurs, au XVIIIe siècle, les faussaires n'ont pas commis une telle bévue et les fameuses éditions pseudo-Benoît Rigaud 1568 et Pierre Rigaud 1566 ne comportent nullement ces vignettes réservées aux prognostications qui d'ailleurs seront absentes des éditions des Centuries tout au long du XVIIe siècle. Il nous apparaît que l'idée d'un corpus nostradamique, prenant en vrac almanachs (pour 1563 et 1565), prognostications (pour 1555), Centuries (1555 et 1557) et Paraphrase (1557 et 1558), en les affublant de la même étiquette d'appellation contrôlée, soit propre à la période de la Ligue. Ce qui est d'ailleurs l'occasion de signaler que tous les faux ainsi dénoncés et dont on nous reproche l'accumulation appartiennent à un seul et même atelier parisien, fonctionnant tous azimuts et recourant alternativement aux éditions à quatre, à sept centuries - on notera que la production rouennaise des années 1588 - 1589 pour le même type d'éditions des centuries n'utilise pas de telles vignettes ! - comme aux almanachs et prognostications, tous porteurs de quatrains. On remarquera toutefois que si les faux almanachs et les fausses éditions des Centuries comportent une vignette sans la frise zodiacale qui caractérise les prognostications authentiques de MDN, en revanche, les fausses Significations de l'Eclipse de 1559 et la fausse Prognostication pour 1555, avec la bonne vignette, elle, comportent bien la dite frise : il nous faut donc distinguer, à toutes fins utiles, ces deux groupes de contrefaçons.

   Nous avons déjà signalé que le genre almanach permettant de ne se focaliser que sur quelques quatrains était jugé plus efficace que des centaines de quatrains donnés en vrac et que cela peut fort bien émaner de périodes bien plus tardives, c'est-à-dire où les Centuries avaient été produites. Cette tradition de quatrains nostradamiques au sein de publications annuelles est d'ailleurs largement confirmée chez un Florent de Crox, chez un Coloni, se voulant disciples de MDN, dans les années 1570 - 1580, chez bien d'autres. Parallèlement à des éditions correctement datées, on observe, comme pour la centurie, cette tendance à produire également des éditions antidatées, se plaçant du vivant de MDN et c'est bien de cela dont il s'agit ici. Or, si l'on admet que cette pratique des faux almanachs pourvus de quatrains nostradamiques n'est pas attestée avant le début des années 1570, ne peut-on en déduire qu'il en est de même quant au moment de parution des almanachs de ce type antidatés ? Selon nous, les faux almanachs dont MDN se plaint ne sont pas de cet ordre là, et il s'en plaint uniquement pour des raisons commerciales et non pour ce qui est de leur contenu ; c'est un simple problème de copyright. On ne peut d'ailleurs exclure que nous ne connaissions certains almanachs jugés authentiques de MDN que par certaines imitations et qui en sont la copie conforme. Or, les faux almanachs dont RB nous parle ici diffèrent sensiblement en leur contenu de ce que MDN publiait.

   On nous dit que si Couillard ne cite pas de quatrains, c'est que ce n'était pas son but. C'est bien dommage mais un peu comme dans le cas Crespin (cf. supra), on ne s'arrête que sur ce qui se superpose au corpus déjà connu et non pas sur ce qui ne coïncide pas et qui frapperait peut être si nous avions accès au document ainsi traité par Couillard ou Crespin. Ce faisant, on désamorce tout ce qui pourrait exister de gênant dans leurs observations. Quant à ce que ni l'un ni l'autre ne signalent, cela ne prêterait pas à conséquence : Couillard ne mentionne pas le moindre verset d'un seul quatrain, ce n'est pas grave ; Crespin saute des centuries entières dans sa compilation, ce n'est rien !

   Enfin, R. B. n'accepte pas que les Centuries ne correspondent pas, selon nous, au travail de MDN. Pour cela, il rappelle que c'était un piètre astrologue. De là à supposer qu'il ait pu publier des quatrains sans le moindre commentaire incorporé, centurie par centurie et sans calendrier précis, comme il le fait pour ses almanachs, nous ne le suivrons pas sur cette piste et quant à sa citation de Ronsard, elle ne fait qu'abonder dans notre sens puisque le poète parle des années - “de mainte année” - que Nostradamus avait pointées, ce qui ne peut renvoyer qu'à des textes bien cadrés chronologiquement ou à des prophéties perpétuelles de type Moult, sans un quelconque ardu décryptage.

   Pour en venir aux observations concernant le Janus Gallicus, nous avons nous-même précisé dans nos derniers articles, que la liste des Présages figurant dans les éditions des Centuries émanait de ce recueil et non pas d'une quelconque édition et c'est d'ailleurs pour cette raison que certains Présages ne figurant pas dans cette liste ne furent pas détectés par la suite et figurèrent en annexe de la VIIe centurie. Ce qui montre précisément l'importance de la référence au Janus Gallicus dans la fabrication des éditions des Centuries et ce qui souligne a contrario le décalage entre les éditions marquées par le JG notamment en ce qui concerne les Centuries XI et XII, sans parler précisément des Présages, et la pseudo édition BR 1568-1 qui est au coeur de la discussion et qui n'est que la jumelle de BR 1568-4, ce qui nous conduit à contester non seulement que cette pseudo édition BR 1569-1 ne parut pas au lendemain de la mort de MDN mais qu'elle ne parut même pas à la fin du XVIe siècle, dans le contexte lié aux éditions de la Ligue.

   Quant à l'affaire Pierre Rigaud sur laquelle termine R. B., on a là l'exemple d'une méchante polémique, “sous la ceinture”, comme dirait notre ami Théo Van Berkel et qui vise à nous déconsidérer à peu de frais. Or, nous n'avons jamais prétendu que cette édition était authentique vu sa similitude avec des éditions que nous datons du XVIIIe siècle - nous serions bien le dernier à avoir quelque intérêt à défendre une telle édition. Nous avons simplement déclaré que les faussaires auraient pu éventuellement se servir d'un libraire ayant existé, au lieu de faire paraître une édition Pierre Rigaud à une époque où ce libraire n'oeuvrait pas, ce que tout nostradamologue ne cesse de répéter depuis Klinckowstroem, en 1913, voilà plus de 90 ans. Mais précisément, depuis cette époque, il ne semble pas que l'on ait beaucoup progressé en matière de détection et de datation de faux, bien au contraire, quand on en a trouvé, on n'a pas su les identifier comme tels, à commencer par les éditions des Centuries datées de 1557. Car, répétons-le, il ne suffit pas de déclarer qu'un texte est un faux mais de déterminer la date à laquelle il a été produit et si possible le contexte dans lequel cela s'est effectué.

   Il serait bon de comprendre pourquoi les éditions parisiennes de la Ligue ont fait ainsi appel aux quatrains de l'almanach pour 1561, et ce bien au delà de ce que l'on pouvait en trouver, on l'a vu, dans le Janus Gallicus. On peut d'ailleurs supposer que ceux qui ont ainsi élaboré une nouvelle Centurie VII ont puisé à la même source que le dit JG, dont on sait qu'il avait accès à toute la collection, notamment du fait du Recueil des Présages Prosaïques. A propos du dit recueil, on comprend mal pourquoi R. B. insiste sur le fait que le commentaire marginal comporte des références aux Centuries, vu que ce commentaire désigne des événements bien postérieurs à la mort de MDN, le dit commentaire étant une chose et le corps de l'ouvrage constitué d'éléments visant des publications annuelles, en étant une autre.

   Or, Il nous semble qu'étant donné que l'on avait affaire à une édition censée avoir été augmentée pour l'année 1561, comme cela figure à la page de titre de toutes les éditions parisiennes, il avait pu sembler judicieux de fournir les quatrains de l'almanach pour cette même année 1561. Ne fallait-il d'ailleurs pas être dans l'esprit syncrétique du JG pour penser que des Présages pour 1561 pouvaient encore faire sens en 1588 ? Il s'agit là en tout cas de la seule tentative connue pour introduire des Présages avec un statut de centurie. En tout cas, nous avions bien la preuve de l'usage de Présages à des fins de publication ponctuelle bien après leur date de consommation.

   Que dire de cette expression de complot dont on affuble notre approche ? S'il y a complot, à vrai dire, c'est bien de la part de ceux qui veulent, à tout prix, attribuer à Michel de Nostredame ce qui n'est pas de lui, aux fins d'entretenir un mythe à partir duquel on continuera à prophétiser en son nom en disant, à la façon de la dynastie Fontbrune : Nostradamus avait dit ceci ou cela. On nous dit qu'il faut éviter les spéculations quand on se veut universitaire; il nous semble, bien au contraire, que c'est le propre de l'historien que de reconstituer le passé à partir des traces qui nous ont été laissées et comme on dit, la carte n'est pas le territoire. En tout état de cause, le philosophe de l'Histoire aura intérêt à méditer sur le cas Nostradamus, qui date d'il y a tout juste cinq siècles et à propos duquel les avis sont si partagés, non point, quant à sa capacité à être prophète - ce qui est un point sur lequel personne ne saurait statuer définitivement, l'Histoire du monde n'étant pas achevée, mais sur ce qu'il a vraiment écrit et publié. Et deux siècles d'écart sur la date d'une édition des Centuries, c'est quand même beaucoup ! Or, cela fut bien le cas, déjà, pour l'édition Pierre Rigaud 1566, qui servit de référence à un Torné Chavigny sous le Second Empire. En réalité, peu importe à la plupart que Nostradamus ait été lui-même prophète, ce qui compte - et c'est en cela qu'il est instrumentalisé - c'est qu'il puisse servir de support pour une activité prophétique.

   Les nostradamologues actuels sont à bonne école, celle du dominicain Giffré de Rechac qui dans son Eclaircissement des véritables quatrains (1656), avec la foi du charbonnier, déclare d'emblée que les Centuries étaient toutes composées dès 1555 et qui vient démontrer dans un premier et unique volume imprimé que Nostradamus y avait annoncé tout ce qui s'est passé de 1555 à 1560, en s'appuyant sur dix voire douze centuries (celles-ci étant commentées dans la partie restée manuscrite, suivant en cela l'exemple du Janus Gallcus), sans envisager un instant que les quatrains en question aient pu être produits après les événements considérés, que ce soit du vivant de MDN, décédé en 1566 ou après sa mort. On est là dans une posture qu'il faut bien qualifier de religieuse comme si la vie de Nostradamus était une nouvelle Vie de Jésus, c'est ce qu'on appelle la légende dorée. Ce n'est pas par hasard que nous avons employé l'expression “critique nostradamique” en référence à la critique biblique, qui prend son essor en ce XVIIe siècle, notamment à la suite de Spinoza. D'ailleurs, Giffré de Rechac, lui-même, souhaitait corriger, amender le texte centurique au prisme de l'exégèse - et il ne s'en est pas privé - et élaguer le canon nostradamique pour rétablir la véritable teneur prophétique de la révélation prophétique de Nostradamus. Il semble bien que sur ce plan, il ait été entendu, puisque ses directives coïncident presque parfaitement avec les règles qui présideront au XVIIIe siècle dans l'édition des Centuries : suppression des Présages et des sixains, des quatrains des centuries XI et XII mais conservation de ces quatrains rescapés des éditions de la Ligue - comme ce quatrain VII, 46 (sic), c'est-à-dire du dernier quatrain de l'annexe à la VII - ce qui ne sera pas le cas des pseudo- éditions BR 1568-1 et PR-1566.

   Oui, c'est vrai, le champ prophétique est concerné au premier chef par la question des faux et des contrefaçons et il nous semble essentiel de développer une falsologie autour du phénomène Nostradamus, laquelle pourra servir à l'étude de bien d'autres documents que les Centuries. Pour notre part, nous avons établi nos méthodes à partir d'un grand nombre de corpus, comme l'atteste notre thèse d'Etat, déjà en son titre, Le texte prophétique en France, dont le volet Nostradamus n'est abordé de front qu'au bout de plus de 900 pages en simple interligne. Ce qui est remarquable c'est que le faux génère du faux, que les faussaires en génèrent d'autres selon une sorte de cercle vicieux, un engrenage, un dialogue de sourds. Si déjà la reconstitution du passé est délicate, on conçoit que d'aucuns soient tentés d'en profiter pour forger des légendes. C'est d'ailleurs cette impuissance à faire un tel tri qui a considérablement desservi la cause de la science historique au XVIIe siècle, que l'on accusait, non sans quelque raison, de faire le jeu de la superstition. En réalité, les chercheurs dans le champ nostradamologique en refusant ce qu'ils qualifient de spéculation se coupent de la communauté des chercheurs en d'autres domaines et notamment des historiens et finalement se déconsidèrent, en croyant bien faire, en s'accrochant à ce qu'il faut bien appeler un certain empirisme d'assez mauvais aloi.

Jacques Halbronn
Paris, le 21 janvier 2004

Notes

1 Cf. son article sur Cura.free.fr : “Dating the Editions of the “Prophéties”. A chronolinguistic approach”. Retour

2 Cf. Prophéties dédiées à la Puissance Divine & à la Nation française, 1572. Retour

3 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, pp. 52 - 53, diffusion Internet Priceminister. Retour

4 A Lyon, B. Honorat, p. 881. Retour

5 Cf. RCN, p. 125. Retour

6 Cf. M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden, p. 62. Retour

7 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, p. 95, diffusion Internet Priceminister. Retour

8 Cf. notre étude sur les variations de la Centurie VII sur ce Site. Retour

9 Cf. RCN, pp. 90 et seq et Bibl. Nostradamus, à partir de l'année 1568. Retour

10 Cf. Les Premières Centuries ou Prophéties, Genève, Droz, 1996. Retour

11 Cf. notre étude sur les versions de la Centurie V. Retour

12 Cf. sur ce point, P. Brind'amour, Nostradamus astrophile, Ottawa, 1993, p. 100. Retour

13 Cf. nos précédentes études sur ce Site. Retour

14 Notamment l'édition d'Amsterdam, 1667, l'édition Besogne 1689 et 1691, ou l'édition non datée Antoine Besson ou encore l'édition anglaise Garencières, 1672. Voir aussi Cologne, 1689 et Paris, J. Ribou, 1668, Rouen, Cailloué et al 1649. Retour

15 Cf. Nostradamus, prophète du vingtième siècle, Paris, La Nef de Paris, 1961, pp. 276 - 277. Retour

16 Cf. RCN, pp. 118 - 127. Retour

17 Cf. notamment la présentation de l'iconographie (DIAP) nostradamique par Patrice Guinard, Site Cura.free.fr. Retour

18 Sur la méthodologie de la recherche dans le domaine prophétique, voir notre étude sur www.Hommes-et-faits.com. Retour

19 Cf. notre étude sur la Centurie VII. Retour

20 Cf. le cas des éditions rouennaises de 1588 - 1589. Retour

21 Cf. Les Prophéties, 1556. Retour

22 Ceux de B. Guynaud, notamment, dont la Concordance sera maintes fois rééditée, à partir de 1693. Retour

23 Cf. notamment les études de Théo Van Berkel. Retour

24 Cf. reprint in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, 1999, p. 455. Retour

25 Cf. “Les prophéties et la Ligue”, Journées Verdun Saulnier sur le thème Prophètes et Prophéties. Retour

26 Cf. RCN, pp. 116 - 117. Retour



 

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