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ANALYSE

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L’Epitre à Henri II et la mort du Roi

par Jacques Halbronn

    En 1993, Pierre Brind’amour écrivait :

   “Certains bibliophiles ont mis en doute l’authenticité de l’édition de 1558 mais dans l’Epître à Henri II, signée le 27 juin de cette même année, Nostradamus déclare dédier au souverain “ces trois centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la miliade” Le grand oeuvre était donc (sic) achevé à l’été 1558 et il est probable (resic) que la dernière partie en fut publiée aussitôt.”1

   Brind’amour part du principe que le contenu de l’Epître au Roi est celui qui figure dans le canon nostradamique. Or, nous avons de bonnes raisons de penser que le contenu initial était sensiblement différent.

   Pour nous, en effet, cette Epître est une contrefaçon et on ne réalise pas sans raison un tel document censé sinon paru du moins rédigé avant la mort d’Henri II, au cours de l’Eté 1559.

   Or, la lecture de l’Epître à Henri II ne justifie pas un tel effort, étant donné que la mort du roi n’y est pas annoncée. Or, pourquoi avoir choisi cette date de juin 1558 si ce n’était point pour montrer que Nostradamus avait prédit les tragiques événements qui allaient suivre au cours des douze prochains mois ?

   Autrement dit, on est déçu par la dite Epître surtout si on la compare aux Significations de l’Eclipse qui sera le 16. Septembre 15592 se présentant sous la forme d’une épître dédiée à Jacob Marra, en date du 14 août 1558, - donc à quelques semaines d’intervalle avec l’Epître à Henri II - dont on a montré qu’il s’agissait d’une contrefaçon visant à montrer Nostradamus comme ayant annoncé la mort du Roi.3

   C’est pourquoi nous pensons que la vraie fausse Epître à Henri II comportait une référence explicite à la mort voire au type de mort du roi. Autrement dit, l’Epître à Henri II dont nous disposons dans le canon centurique serait doublement fausse.

   Nous avons déjà signalé d’autres versions de l’Epître, celle figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et celle se trouvant dans l’édition Antoine Besson, parue à la fin du XVIIe siècle. La première se réfère à la rencontre avec le roi alors que sa contrefaçon aurait du être celle d’un adieu au Roi, s’approchant de sa mort. Quant à l’édition Besson, si elle n’apporte rien par rapport à l’annonce de mort a au moins l’avantage de nous parler des “premières centuries” et non du “reste” des prophéties, comme si l’on offrait à un roi des vestiges. Il nous semble que cette édition Besson, assez vide sous la forme qui nous est parvenue, aura été élaguée et privée d’un pronostic concernant la prochaine disparition du monarque.

   Est-ce à dire pour autant qu’il existe une édition datée de 1558 ?4 Nous ne le pensons pas. Cette épître de juin 1558 ne parut en réalité qu’au début des années 1570, en tant que pièce retrouvée dans la bibliothèque de Nostradamus et accompagnant des Centuries, elles aussi restées inédites du vivant de leur auteur. Elle est signalée par Crespin à cette époque.5

   Brind’amour (op. cit.) donne à l’appui de la parution de l’Epître centurique en 1558 le témoignage des ambassadeurs vénitiens, lors de la mort en 1560 de François II. Mais ce témoignage ne désigne nullement un quatrain !

   Pourquoi, demandera-t-on, avoir supprimé par la suite un tel pronostic relatif au drame des Tournelles ? Il est possible que ce pronostic s’accompagnait de certains développements qui ne donnèrent pas totalement satisfaction. D’ailleurs, on a des indices nous conduisant à penser que l’Epître a été tronquée, c’est ainsi que l’on a une suite de positions planétaires sans indication d’année, en l’occurrence 1606. La présence de deux chronologies - sujet qui a intéressé Theo Van Berkel, notamment - pourrait également s’expliquer par une volonté de remplacer un passage par un autre.

   On nous fera remarquer qu’il fallait que le public de l’époque fût bien naïf pour accepter qu’on lui présentât un document supposé resté inédit comme preuve d’un pronostic réussi. En tout cas, il n’en fut pas ainsi pour les Significations de l’Eclipse dont une édition antidatée existe bel et bien, justement parce que le coup du document inédit faisait problème. C’est là où l’on voit que la méfiance génère des faux.

   De deux choses l’une : ou bien cette Epître est authentique et a bien été publiée avant la mort d’Henri II et il serait après tout normal qu’elle ne l’ait pas annoncée tant ces choses là sont imprévisibles ou bien cette Epître est une contrefaçon et elle se doit d’annoncer l’événement et pourquoi pas dans la foulée la mort prématurée de François II, l’année suivante.

   Or, tout indique qu’il s’agit d’une contrefaçon puisque cette Epître tente de se substituer à celle, authentique, figurant en tête des Présages Merveilleux, laquelle n’annonçait pas, d’ailleurs, on s’en doute, un tel drame. Donc si c’est une contrefaçon, il faut qu’on en ait pour son argent. En outre, est-ce que ce n’est pas cette Epître, bien plus déchiffrable que des centaines de quatrains qui aurait impressionné les esprits lors de sa publication ? Est-ce que ce n’est pas dans un passage disparu de la dite Epître et non dans quelque malheureux quatrain perdu dans la masse - et ô combien incertain - qu’il faut chercher la cause de la popularité de l’ensemble centurique ?

   Qu’est ce qui a pu susciter cette suppression ? Probablement parce que non content d’annoncer ce que l’on savait déjà, on aura pris le risque d’annoncer ce qui n’avait pas encore eu lieu et qui finalement n’eut jamais lieu, parce que le texte de l’épître avait vieilli et que d’autres échéances, d’autres enjeux se profilaient à l’horizon. Il fallut bien donc évacuer ce qui risquait de “plomber” l’Epître.

   Dilemme donc : ou bien l’épître est authentique et Nostradamus n’a rien prévu de l’avenir immédiat ou bien c’est une contrefaçon et il lui manque quelque chose. D’où d’ailleurs cette quête de trouver dans un quatrain, que dis-je dans un verset, ce qu’on ne trouve plus dans le texte en prose.

   Comment, en effet, expliquer que Nostradamus ait pu s’adresser au Roi, un an avant sa mort, et ne pas l’informer, même à mots couverts mais pas trop car il faut que le public suive, de ce qui attendait sa personne et celle de son premier fils ? Le public n’aurait pas compris, sachant ce qui s’est passé, lorsque la contrefaçon parut avec plus de dix ans de retard, que Nostradamus n’ait pas tapé dans le mille. Et s’il ne l’avait pas fait, quelle gloire aurait-on pu lui accorder puisque tel était le but de l’opération ?

   Car cette gloire posthume qu’on a voulu sienne, il a bien fallu qu’elle se nourrisse de quelque passage. On nous parle d’une persécution de l’Eglise Chrétienne. On se hâte un peu vite d’y voir l’annonce des persécutions du clergé catholique sous la Révolution. Mais c’est là une perspective bien lointaine dans la seconde moitié du XVIe siècle. Or, à regarder le texte de plus près, ce n’est pas ce qui est écrit : on nous dit que la persécution cessera en 1792 et non qu’elle débutera alors. Il nous semble donc que la version de l’Epître à Henri II qui figure dans le canon centurique émane du camp protestant et non du camp catholique et qu’il s’agit d’un texte de combat propre aux Guerres de Religion, marqué probablement par le massacre de la Saint Barthélémy. Or, il est très peu probable qu’au départ, cette Epître comportât un tel développement qui eut fait de Nostradamus le chantre des Huguenots.

   Non, ce que l’on attendait de l’Epître exhumée, extraite des papiers de Nostradamus, et en quelque sorte oubliée par lui, des années durant, c’est qu’elle décrivît de façon frappante et véridique ce qui se passa entre 1558 et la date d’impression posthume, soit un laps de temps d’une bonne douzaine voire d’une quinzaine d’années, puisque selon nous, la première édition des Centuries parut après 1572.6

   Certes, comme l’affirme Brind’amour, fallait-il plutôt chercher dans les quatrains les événements en question plutôt que dans l’Epître au Roi et y dénicher le quatrain de la Centurie X relatif à la mort de François II ou celui de la première centurie concernant celle de son père. Ce qui nous ramène à une autre absence, celle d’un commentaire qui aurait du accompagner la première parution de ces Centuries posthumes et mettre en évidence les quatrains les plus saisissants, comme le fera bien plus tard la Première Face du Janus Gallicus.

   Et puis, ce serait selon nous une erreur que de croire que l’Epître de 1558 aurait accompagné, du moins dans un premier temps, un second lot de Centuries, le premier lot étant précédé de la Préface à César. Nous avons déjà dit que selon nous cette Préface à César n’apparaît, sous sa forme centurique - et non pas sous celle que nous décrit Couillard en 1556 - que dans un deuxième temps et que l’Epître à Henri II, remaniée, est celle qui est la première, comme il se doit.

   On ne saurait cependant nullement exclure d’office l’existence d’une édition des Centuries datée de 1558 mais qui serait bel et bien antidatée comme c’est le cas des éditions de 1555, 1557 et 1568 qui nous ont été conservées. Il faudrait dans ce cas déterminer à quelle date cette édition de 1558 aurait été réellement publiée, constituant ainsi un triptyque paru du vivant de Nostradamus avec celles de 1555 et 1557, celle, posthume, de 1568 relevant d’une autre logique. On sait en effet que deux thèses s’opposent et se croisent : celle de la parution du vivant de Nostradamus et celle de la publication posthume.

   Il est peut-être utile de signaler7 que l’on a l’exemple de la Lettre de Nostradamus au pape Pie IV figurant dans l’almanach nouveau pour 1562, en date du 20 avril 1561, dont on a par ailleurs retrouvé une mouture manuscrite quelque peu différente tout en restant fort proche, et pour une autre date (17 mars 1561). Qui sait si cette autre version n’était pas destinée à être utilisée de la même façon que l’Epître centurique à Henri II, à savoir dans une édition contrefaite ?

   Le dernier article de Theo Van Berkel est pour nous l’occasion de mettre en garde contre certaines conclusions un peu trop rapides concernant la personne de Nostradamus. Au risque d’énerver un peu plus certains, nous pensons souhaitable de recommander la prudence y compris dans le champ des publications annuelles quant à ce que nous attribuons avec quelque certitude à Michel de Nostredame.

   Nous avions déjà signalé (sur Espace Nostradamus) certains enseignements que l’on pouvait tirer de l’étude du Recueil des Présages Prosaïques, manuscrit aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Municipale de Lyon La Part Dieu et dont Bernard Chevignard a publié une partie.8 Il ressort de la comparaison entre le manuscrit et les impressions qui nous sont parvenus des publications annuelles parues sous le nom de Nostradamus qu’existe un certain décalage que l’on ne saurait traiter à la légère. On regrettera donc que Theo Van Berkel ne prenne pas davantage de précautions dans sa façon de nous parler des méthodes de Nostradamus en matière d’almanachs et de prognostications.

   En effet, Nostradamus - tel est bien le problème que nous posons - était-il seul responsable d’une telle production, de A jusqu’à Z ? On ne parle évidemment pas ici des faux almanachs mais bien de ceux émanant de Nostradamus mais pas nécessairement de Nostradamus seulement.

   Nous rappellerons à Theo Van Berkel qu’une grande partie des calculs auxquels il se réfère ne figurent pas dans le Recueil des Présages Prosaïques et que tout se passe comme si certains éléments avaient été ajoutés après coup, en complément, ce qui expliquerait éventuellement qu’un même texte puisse s’accompagner de données de détail différentes, dans l’hypothèse où le dit texte aurait été complété par des personnes différentes, travaillant pour des libraires différents.

   Citons Van Berkel : “It is not professional that in one book (the 1559-Almanac-F, split into the 1559-Almanacke-GB and the 1559-Progno-GB), the time moments of lunar phases are not identical.“

   Reste le cas des lettres manuscrites de Nostradamus, auxquels se réfère assez largement Van Berkel. Il est possible que dans ce cas, mais dans ce cas seulement, il faille en attribuer l’entière rédaction à Nostradamus.

   Van Berkel conclut : “The question is if Nostradamus calculated these charts by himself or copied them” mais on peut aussi se demander si Nostradamus ne déléguait pas une partie du travail à de “petites mains”.

   Selon nous, Nostradamus n’avait pas la responsabilité de la rédaction finale et celle-ci a pu être plus ou moins bâclée. Cela pourrait aussi expliquer certains décalages dans le texte dus à l’existence de plusieurs mains.

   On voit à quel point il est vain de rechercher une unité d’inspiration dans l’ensemble centurique. Un Brind’amour préférait parler d’incohérence de la part de Nostradamus plutôt que de juxtapositions et d’interpolations de textes de diverses origines. On voit à quelles extrêmes cette quête de l’unité nostradamienne peut conduire et finalement aboutir à une image déformée et grimaçante voire inconsistante de celui que l’on entendait pourtant sacraliser.

   Nous avons analysé ailleurs9 l’attitude qui consistait à refuser toute sélection, tout élagage, qui fonctionnait dans le tout ou rien et nous l’avons caractérisée comme féminine. Certes, il fut un temps où le rassemblement de tout ce qui touchait de près ou de loin à Nostradamus devait être recensé et signalé, ce que fit Robert Benazra, dans son Répertoire Chronologique Nostradamique (RCN), paru en 1990, voilà donc bientôt quinze ans. Le temps est venu à présent d’opérer un tri, ce qui est selon nous plutôt de l’ordre du masculin ; il s’agit non plus de saisir le corpus comme faisant un tout mais bien de le décomposer, de le dépecer, de le décortiquer, d’en déterminer les strates.

   La phase syncrétique est révolue qui conduisit précisément à rassembler tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du Nostradamus, que ce soit pour élaborer le canon nostradamique ou constituer les bibliothèques et autres bibliographies nostradamiques, un peu fourre tout. C’est maintenant le temps de la décantation, du dégrossissage, de l’écrémage, de la sélection. La recherche des sources, des références événementielles, appartient d’ailleurs à cette mouvance “masculine”. On voit donc combien certains auteurs, comme Brind’amour, sont partagés, balancés, écartelés entre ces deux tropismes, lui qui tentait désespérément à la fois de signaler les emprunts du corpus à toutes sortes d’ouvrages et de préserver la fiction d’un Nostradamus, auteur, responsable et pivot du tout. Il conviendrait donc de cerner la complémentarité entre deux familles de chercheurs en nostradamologie et ne pas attendre de la sensibilité féminine qu’elle soit en mesure, en quoi que ce soit, de priver, dépouiller, “déposséder”, pour employer une expression polémique chère à Robert Benazra, Nostradamus de son œuvre définitivement une et indivisible, comme on dirait de découper son enfant, pour évoquer le jugement de Salomon.

Jacques Halbronn
Paris, le 16 juillet 2004

Notes

1 Cf. Nostradamus astrophile, Ottawa, 1993, p. 60. Retour

2 Reprint in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999. Retour

3 Cf. nos études et celles de Theo Van Berkel, sur Espace Nostradamus. Retour

4 Cf. Michel Chomarat, “Un chaînon manquant dans l’oeuvre de Nostradamus, l’édition de 1558 des Prophéties”, in Nostradamus traducteur traduit, Bruxelles, Ed. Du Hasard, 2000, pp. 78 et seq., texte repris in “L’édition des Prophéties de 1568”, préface du reprint Les Prophéties, Lyon, 1568, op. cit., pp. 17 et seq. Retour

5 Cf nos DIPN. Retour

6 Cf. “néonostradamisme et préccenturisme” sur Espace Nostradamus. Retour

7 Cf. “Nostradamus au Pape Pie IV”, in L’Astrologie de Nostradamus. Dossier, Ed. R. Amadou, Poissy, Ed. ARRC, 1992, pp. 403-413. Retour

8 Cf. Présages de Nostradamus, opus cité. Retour

9 Cf. nos études à la rubrique Hypnologica, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour



 

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