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ANALYSE

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Nostradamus et la mort de l’astrologie

par Jacques Halbronn

    L’épitaphe de la pierre tombale de Michel Nostradamus (mort en 1566), que l’on peut encore examiner à Salon de Provence, nous le présente comme astrologue et nullement comme prophète. On en retrouve le texte quelque peu tronqué dans le Janus Gallicus (1594), dès lors qu’y est repris le “Brief Discours de la Vie de Michel de Nostradamus”, dont il est bien possible qu’il soit paru précédemment au sein d’une édition perdue des Centuries. Une telle présentation des choses nous amène à réfléchir sur la façon dont des éléments non astrologiques, dans l’oeuvre de Nostradamus, ne justifièrent pas pour autant qu’on le perçût autrement que comme un homme d’abord au fait des influx astraux.

   Certes, en 1566, la dimension prophétique de Nostradamus devait être assez mince, si l’on admet, comme nous le faisons, que la publication des Centuries n’était pas encore une chose faite et cette épitaphe suffirait au demeurant à jeter un doute sur la thèse d’une telle publication du vivant de Nostradamus ou de la connaissance même par ses proches d’une production de type prophétique restée inédite. En tout cas, cette épitaphe ne semble guère correspondre à l’homme qui aurait annoncé dans un quatrain (tel que I, 35) la mort en tournoi d’Henri II, survenue en 1559, quatrain dont le caractère proprement astrologique est fort incertain.

   Cependant, une telle représentation des choses ne prendrait pas en compte la tendance impérialisante de l’astrologie.1 D’ailleurs, dans les almanachs de Nostradamus ne trouve-t-on pas, au moins à partir de l’almanach pour 1557, dédié à la reine Catherine de Médicis, des quatrains qui servirent certainement de prétexte à la production de centuries et dont le caractère astrologique est à mieux cerner. Encore conviendrait-il de bien saisir ce qui relevé strictement de l’astrologie et de le distinguer de ce qui correspond à une certaine expansion en quelque sorte territoriale. C’est à une telle réflexion que nous invitent les quatrains nostradamiques et plus généralement toute la pratique astrologique de l’époque de Nostradamus2, telle qu’elle apparaît notamment dans sa correspondance resté inédite jusqu’au XXe siècle.3

   Certes, l’astrologue ne peut rester confiné dans son jargon technique, il est conduit à emprunter le langage communément pratiqué mais à partir du moment où cet emprunt a lieu reste-t-on vraiment dans le champ de l’astrologie stricto sensu ? Il y a un problème de traduction, d’interface à savoir gérer et toute traduction ne s’apparente-t-elle pas littéralement à un tour de passe-passe. On ne saurait, en tout état de cause, sous-estimer ce que l’astrologie doit, pour son existence, à ceux qu’elle prétend décrire et on se demandera si parfois cela ne relève pas d’un marché de dupes ?4

   Il est à vrai dire bien difficile d’isoler l’astrologique de ce qui ne l’est pas et il convient de se méfier de ceux qui affirment le tout astrologique, ce qui évite d’avoir à opérer des distinctions. Ce sont généralement les mêmes qui prônent cette attitude et qui ne veulent pas non plus déterminer quelle configuration astrale est opérante et laquelle ne l’est pas. Il y a chez certains une véritable hantise du choix et une incapacité à déterminer les choix qui ont été faits.

   Poussée par une sorte de mimétisme, l’astrologie imite le monde qui l’entoure, elle s’en nourrit de diverses façons au point de ne plus très bien savoir ce qu’elle est en soi et ce qu’elle a pris à l’autre, en l’occurrence cet autre de l’astrologue qui est son client, son lecteur, celui qui est à son écoute et qui donne sens, presque malgré lui, au discours de l’astrologue, tant les hommes sont programmés pour donner du sens à tout ce qu’ils rencontrent et perçoivent, poussés par une sorte d’égocentrisme. Nous dirons que l’astrologie existe en partie dans l’état actuel des choses de par l’égocentrisme exacerbé des individus. Croire que dans ces conditions, on puisse prouver l’astrologie dénote une certaine dose de naïveté. Tout au plus, l’astrologie serait un catalyseur, un révélateur et ce non point parce qu’elle révèle quelque chose de par son discours mais parce qu’elle amène le client - face à ce qu’il faut bien appeler une intrusion - à digérer celle-ci ou à la rejeter, ce qui, au vrai, est aussi satisfaisant dans un cas que dans l’autre.

   Nous parlions plus haut d’un marché de dupes, il y en tout cas échange et au cours du dit échange, l’astrologie s’enrichit de réalité, de vécu en échange de quelque structure qu’elle transmet généreusement et qui pourrait s’apparenter à de la verroterie pour sauvages ou à des assignats obtenus contre de l’or. Par certains côtés, l’astrologie pourrait s’apparenter à de la fausse monnaie avec laquelle on peut acheter de vrais biens.

   Revenons à Nostradamus et aux quatrains ! On dira que les quatrains mensuels des almanachs annuels sont constitués d’un assemblage de présages et nous pensons qu’un quatrain est fait de plusieurs présages assez lapidaires, mis bout à bout, si bien que le mot présage ne saurait désigner un quatrain comme cela se pratique à partir du XVIIe siècle dans certaines éditions des Centuries comportant les quatrains des almanachs de Nostradamus. A priori, il y a une prise de risque à cibler avec autant de précision un ensemble de courts présages surtout si l’on compare avec l’usage qui a fini par s’imposer pour les quatrains centuriques. Mais est-ce que le risque était si grand que cela ? Il y a là deux scénarios possibles : ou bien une prise de risque considérable, mois par mois et cela pendant des années ou bien un procédé qui n’a guère de chances d’être pris en défaut tant chacun comprend ce qu’il veut et cherche à se relier au discours tenu. Au fond, les quatrains de Nostradamus, c’était l’horoscope du mois, près de cinq cents ans avant l’heure, sans que le pronostic soit différent selon les signes, ce qui était d’ailleurs le cas à l’origine, au début des années Trente.5 En fait, en face d’un texte qui n’est fait que de mots, de signifiants, le lecteur apporte du signifié, du vécu, c’est-à-dire du sens. Mais l’astrologue aussi donne du sens, à sa façon, puisqu’il se réfère aux astres. Mais on ne parle pas du même sens : le lecteur d’horoscopes serait plutôt celui qui dirait “ma vie n’a pas de sens !”, c’est-à-dire qu’il est surtout en quête d’une référence, d’un cadre, aussi vagues soient-ils en échange de quoi il donne sens aux oracles de l’astrologue.

   Le problème de cette astrologie des almanachs et des horoscopes de presse, c’est que cela ne marche que par la bonne volonté, le bon vouloir, des lecteurs. Sans eux, cette astrologie là serait comme l’automate joueur d’échecs, qui défraya la chronique au XVIIIe siècle, sans personnage blotti dans les recoins de sa mécanique. Une astrologie miroir, dans le genre auberge espagnole. Une astrologie qui, de toute façon, emprunte aux diverses circonstances de l’agriculture et de la politique son vocabulaire - mauvaises récoltes, morts de princes et ainsi de suite - et qui ne prétend nullement proposer un éclairage différent du monde, se contentant d’annoncer des choses qui sont déjà arrivées et arriveront toujours et encore, ici ou là, parce qu’elles font partie de l’éternelle condition de l’Homme.6

   En s’acoquinant avec le prophétisme, l’astrologie renonce à son langage propre pour adopter celui du monde et elle restera marquée jusqu’en plein XXe siècle, par un tel rapprochement, cherchant à annoncer les guerres, les famines, les épidémies et autres catastrophes.

   La question qui se pose à nous est la suivante : est-ce le prophétisme qui envahit l’astrologie ou bien l’astrologie qui récupère le prophétisme ? Il semble que l’astrologie soit l’élément le plus susceptible de s’étendre vers les plans les plus divers mais chacun sait que le conquérant peut être dominé par ceux qu’il prétend contrôler, comme Rome par la Grèce. En faisant de Nostradamus l’auteur de Prophéties puis carrément - ce qui n’est pas la même chose - un Prophète, ne croyait-on pas ainsi, sur le moment, renforcer l’astrologie ? Le problème, c’est que cette astrologie prophétique, recourant à des quatrains inspirés de l’Histoire et de la Géographie des Hommes, allait fonctionner sans désormais que l’astrologie stricto sensu ait à jouer de rôle autre que de figuration. Le décalage entre techniques propres à l’astrologie et quatrains allait devenir patent, même si l’astrologie continuait à toucher quelques royalties grâce au personnage emblématique de Nostradamus, astrologue devant l’Eternel. A la longue, le fossé entre nostradamologues et astrologues allait se creuser et l’astrologie se démarquer du phénomène centurique, attitude fort sage tant le prophétisme finissait par apparaître pour elle tel un cadeau empoisonné. Toutefois, comme on l’a dit, la vogue des horoscopes de presse allait générer un nouveau type de prophétisme dont l’astrologie chercherait également à se démarquer, ajoutant que bien des rédacteurs de ces rubriques ignoraient tout ou presque de ses méthodes.

   On en arrive ainsi à un certain paradoxe qui fait du prophétisme un repoussoir pour l’astrologie bien plus qu’un prolongement ou un allié. Car la vocation de l’astrologie n’est pas d’employer le langage et les représentations de Monsieur Toulemonde mais bien d’offrir une grille singulière qui ne soit ni trop abstraite, réduite à un descriptif purement astronomique et symbolique ni collée au réel comme le sont le prophétisme sur un plan collectif ou la divination, à l’échelle individuelle.

   Il ne convient pas, en tout état de cause, que l’astrologie ne puisse se vérifier qu’en s’appropriant un champ qui n’est pas le sien. Il est impératif qu’elle existe par elle-même, ce qui ne l’empêche nullement de laisser le relais à d’autres savoirs qui la prolongeraient éventuellement. C’est ainsi que si nous décrivons une période propice au développement de certaines tendances sociales, le terme période nous semblant particulièrement propre à l’astrologie, seule apte à en déterminer à l’avance les limites, nous ne sommes nullement obligés, du point de vue astrologique, de préciser les échéances successives qui se présenteront lors de telle ou telle période, comme s’y croient contraints tant d’astrologues. Le fait qu’au cours d’une période, par exemple de sept années, tant d’événements d’un certain type se produise concerne l’astrologie mais non point la date des dits événements si ce n’est que ceux-ci se situeront au cours de la dite période. Non point qu’on ne puisse parvenir à davantage de précision, mais ce n’est plus l’affaire de l’astrologie mais celle d’autres paramètres à commencer par le libre -arbitre des hommes qui leur permet de choisir au cours d’un certain laps de temps la date d’un certain passage à l’acte. On voit donc que la fixation par l’astrologie de périodes d’une certaine durée, à la fois permet une approche statistique et à la fois laisse aux hommes une certaine marge de manoeuvre.

   C’est ainsi que le prophétisme qui était devenu une province de l’empire astrologique n’en fait plus partie en ce sens que l’astrologie ne doit pas sa vitalité au dit prophétisme comme cela a pu être le cas à une certaine époque. Au demeurant, le prophétisme sans l’astrologie est-il encore du prophétisme ? Oui, à condition que l’on s’appuie sur une astrologie en pleine possession de ses moyens et qu’il s’efforce d’aller plus loin. L’important, c’est que l’astrologie puisse passer le relais mais tout en préservant son propre modus operandi.

   En ce qui concerne la divination terme sous lequel certains, notamment Outre Manche, veulent qualifier l’astrologie, nous pensons qu’il s’agit là également d’un malentendu. Force est cependant de constater qu’une certaine astrologie, fossilisée et impuissante, n’a pu survivre qu’en exploitant la divination, dans le cadre de consultations orales ou écrites, qui nous ont été partiellement conservées, telles que les pratiqua Nostradamus, quitte à faire croire que les résultats de la divination tenaient à l’astrologie, ce qui aura permis de perpétuer une certaine astrologie en raison de prétendues réussites qui en fait n’auraient pas du lui être imputées. Là encore, une telle astrologie en annexant la divination sera parvenue à maintenir l’illusion qu’elle était toujours en vie comme un cadavre qui ne vit que par les vers qui s’y multiplient.

   C’est dire que le nostradamisme tel qu’il se développe à la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle nous semble annoncer et provoquer le déclin de l’astrologie telle qu’exposée dans les traités de l’époque, tout comme d’ailleurs l’essor des arts divinatoires et autres sciences occultes, non pas tant en raison d’une concurrence mais du fait que l’astrologie va se survivre de la sorte en renonçant à se réformer comme l’avait souhaité un Kepler. Nostradamus, du moins tel qu’il est devenu de par la volonté de certains, aura, nous semble-t-il bel et bien entravé, par sa fortune même, le passage de l’astrologie à la modernité. L’astrologie française ne sortira de ce sommeil métaphysique qu’à la fin du XIXe siècle avec le projet d’une “astrologie scientifique” et notamment statistique. Pour nous, en tout cas, la statistique est un outil indispensable et incomparable pour un savoir astrologique rénové et réformé et qui prend tout son sens dès lors que l’on admet que l’astrologie brosse des périodes et ne fixe pas la date d’événements ponctuels, chose qui n’est pas de son ressort.

   Comme nous l’avons exposé à plus d’une reprise7, la raison impériale est souvent mauvaise conseillère. N’en est-il pas ainsi également pour la médecine astrologique, Nostradamus étant médecin de formation, ayant étudié et obtenu son doctorat à Montpellier ? A notre avis, l’astrologie n’avait rien à faire dans cette galère. Elle en retira peut-être, de temps à autre, quelque gloriole mais fonder l’efficience de l’astrologie sur la guérison d’un malade nous semble bien hasardeux et quand bien même serait-ce le cas le rôle de l’astrologie dans l’affaire toujours fort discutable, ce qui explique qu’elle finira par être jugée indésirable dans les milieux médicaux, à partir du XVIIIe siècle. Là encore, en ne pouvant plus appuyer certaines de ses techniques sur l’astrologie médicale, les dites techniques, comme l’Homme anatomique ou Homme-Zodiaque, auraient du être abandonnées, élaguées.

   Si l’astrologie ne s’était pas servi si longtemps de ces béquilles que sont la médecine, la divination ou le prophétisme, domaines qui ont certes leur efficience propre, elle ne se serait pas maintenu dans une sorte de double bind : cela marche mais on ne sait pas pourquoi, tout simplement parce qu’entre la théorie astrologique et la pratique sur le terrain, il n’y avait qu’une solution de continuité et en fait pas de lien de cause à effet.

   Encore une fois, l’astrologie n’est pas seule dans son cas, tous les empires religieux, coloniaux, militaires ayant généré les mêmes maux et à un certain stade plutôt que de se régénérer, ils auront préféré exploiter les ressources de leurs vassaux, ce qui n’a fait que les affaiblir encore plus spirituellement, en dépit des apparences. Certains empires ont continué à se maintenir par des expédients, par des concours de circonstance ce qui conduit à un décalage toujours plus flagrant entre les valeurs défendues et affichées par le noyau central et les procédés de fortune qui permettent encore de sauver la mise.

   C’est pourquoi les astrologues de terrain, de nos jours, ne sont que des mercenaires qui croient défendre les couleurs de l’astrologie alors qu’ils ne font, le plus souvent, que mettre leurs dons de médecin - de thérapeute-, de devin - de psychologue - ou de prophète - de politologue - au service d’une astrologie pléthorique et ayant perdu son âme et qu’ils maintiennent ainsi dans un certain état d’euphorie. Il est regrettable que les historiens de l’astrologie soient dupes d’un tel manège et continuent de croire que les techniques exposées dans les traités sont docilement appliquées sans faire la part des vrais moyens empiriques et extra-astrologiques utilisés et qui ne sont pas décrits dans les dits traités. En fait, ce que nous leur reprocherons, c’est de laisser entendre que c’est là la seule astrologie, l’astrologia perennis, de ne pas percevoir la pathologie de l’épistémé qui se manifeste derrière de tels compromis, bref de ne pas avoir pris la mesure de la stratégie impériale de l’astrologie et de ses séquelles.

   Dans le domaine nostradamique proprement dit, on retrouve d’ailleurs le même problème : les imitateurs des “Présages”, c’est-à-dire d’un prophétisme versifié (quatrains, sixains) étendent de facto le champ des quatrains d’almanachs et des épîtres peu ou prou prophétiques à divers personnages mais en même temps ils le parasitent et se substituent à lui au point, in fine, que l’on en arrive à attribuer à Michel de Nostredame le travail de ses successeurs, au point de ne plus très bien savoir ce que le dit Nostradamus a vraiment composé et publié de son vivant ou post mortem. L’impérialisme, c’est-à-dire une extension et une expansion d’un point origine vers l’autre finit par faire perdre conscience de l’existence de l’autre, qui ne fait plus qu’un avec le dit point origine de sorte qu’on a le plus grand mal à séparer ce qui était au départ et ce qui est à l’arrivée. C’est ainsi que dans le champ nostradamique, il n’y a de bien défini que Nostradamus, tous les autres acteurs seraient des ombres sans personnalité propre et dont la part dans l’édifice centurique ne saurait être que dérisoire, seuls les commentateurs attitrés ayant, en quelque sorte, droit à l’existence et jouant le rôle de l’autre. Mais précisément ces commentateurs “enrichissent” considérablement le corpus nostradamique, tout en mettant sur le compte de Nostradamus leurs propres cogitations dans le style “Nostradamus a annoncé ceci ou cela”, comme on peut le voir notamment dans un film comme Nostradamus l’avait prédit (1991), au titre ô combien révélateur, dans lequel divers exégètes prennent la parole (le roumain Constantin Amariu, précurseur des travaux de Brind’amour et de Roger Prevost sur les sources de certains quatrains, Richard Balducci, auteur de La vie fabuleuse de Nostradamus, Ed. Filipacchi, 1991, Jean-Charles de Fontbrune, la voyante Myriam Phé etc). Ces prophètes au second degré apportent, selon nous, aux quatrains une longévité inespérée, d’autant que ceux des almanachs ne valent que pour l’année de leur publication ou pour celle qui suit. Il ne s’agit pas pour nous, à la différence de l’astrologie, de nous interroger sur ce qui pourrait être sauvé, pour la postérité, de l’oeuvre authentique de Michel de Nostredame née à une époque bien plus tardive où la subconscientisation collective est close depuis bien longtemps, laissons la dormir de sa belle mort ! Ce qui nous préoccupe au premier chef, c’est que l’on ne nous fasse pas croire que tel personnage ou tel ouvrage ou tel procédé ont eu tel mérite du fait des interprétations et des applications qui en sont données. Rendons à César ce qui est à César : accordons aux praticiens et aux lecteurs de tel ou tel texte un mérite propre en refusant d’attribuer celui-ci à des supports qui ne sont pas en état de fonctionner de par eux-mêmes. Tout se passe comme si des activités jugées ancillaires - raccorder tel morceau de quatrain à tel événement bien connu ou jugé probable, ajuster la carte du ciel sur les problèmes du client - se devaient de revendiquer un illustre patronage, un savoir millénaire dans le cas de l’astrologie, ce qui a l’avantage de fournir à certains quelque auréole, non sans que de telles prétentions - plus encore que les pratiques elles-mêmes, somme toute, assez empiriques - ne s’apparentent à une forme de charlatanisme.

   Pour ce qui est de l’astrologie, le syncrétisme avec le prophétisme8 et avec les pratiques divinatoires aura eu des conséquences épistémologiquement gravissimes - le remède est souvent pire que le mal - en ce que l’astrologie a peu ou prou renoncé à se fonder autrement que dans le champ du prophétisme (prédictions annuelles urbi et orbi cherchant à annoncer les événements marquants et non des phases tendancielles) et de la divination (consultation individuelle visant à dater avec la plus grande précision les moments clef de la vie alors que la consultation astrologique devrait précisément avoir pour effet de cerner des phases et non pas de coïncider avec un vécu en aveugle), accordant aux statistiques une place assez mineure stratégiquement et en ne cherchant pas spécialement à s’établir sur une représentation un tant soit peu crédible de sa genèse et de son émergence en tant que phénomène et en tant que savoir. Autrement dit, quand l’astrologue rencontre son client, il n’a encore rien prouvé de la valeur de l’astrologie et c’est bel et bien le dit client qui dira si “c’est vrai” ce qu’on va lui dire et validera ipso facto tout le système astrologique, responsabilité écrasante qui lui incombe ainsi mais qui ne peut que flatter son ego, à plus d’un titre, sans se rendre compte que la dynamique même de la consultation, de par son caractère interactif, interdira toute possibilité de validation sérieuse du dit système. Quant aux prétentions des astrologues à discourir sur les événements en cours, là encore la part de l’astrologie est souvent bien faible, quand bien même l’astrologue userait d’un langage très technique - on le voit d’ailleurs dans le fait que tous les astrologues ne sont pas d’accord entre eux alors qu’ils recourent grosso modo, soi disant, aux mêmes outils, étant sensiblement relayée par la connaissance du terrain politique du moment, prenant ainsi en compte bien des paramètres qui n’ont rien à voir avec l’astrologie, ce qui ne les rend d’ailleurs pas pour autant infaillibles. Nostradamus, en tant qu’astrologue appartenait à une époque où l’astrologie bénéficiait d’un environnement qui lui était favorable, relayée et renforcée par toutes sortes de disciplines qui croyant s’appuyer sur elle ne faisaient en réalité que contribuer à sa survie. Le jour où celles-ci renoncèrent à se servir de l’astrologie, on s’aperçut précisément à quel point c’était bel et bien l’astrologie qui se servait d’elles et non pas l’inverse et d’ailleurs l’astrologie médicale n’a pas disparu pour autant, quand bien même, les médecins n’en voudraient plus, elle y trouve en effet cette emprise sur les individus - car elle est avant tout affaire individuelle - qui lui donne l’illusion d’être encore vivante, un peu comme les vampires qui sucent le sang de leurs victimes en prétendant leur donner un baiser !

   Force, en tout cas, est de constater que le vrai Nostradamus n’intéresse plus personne et que c’est grâce à quelques subterfuges que le faux Nostradamus est toujours présent et le restera tant que les gens n’auront pas compris que les quatrains ne font sens que par l’ingéniosité de leurs interprètes, à chaque génération et en chaque pays, puisant dans tout autre chose, en réalité, que dans un savoir qui émanerait directement des dits quatrains.

Jacques Halbronn
Paris, le 5 septembre 2004

Notes

1 Cf. “Astrologues et anti-astrologues en mal de modèles adéquats” & “La crise de l’astrologisme”, “Nostradamisme et astrologisme devant la critique”, Espace Nostradamus. Retour

2 Cf. A. Grafton, Cardano’s Cosmos, the worlds and works of a Renaissance astrologer, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1999. Retour

3 Cf. J. Dupèbe, ed. Nostradamus. Lettres inédites, Genève, Droz, 1983. Retour

4 Cf. “Astrologues et anti-astrologues en mal de modèles adéquats”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

5 Cf. La vie astrologique, années trente-cinquante, Paris, Trédaniel, 1995. Retour

6 Cf. “Astrologues et anti-astrologues en mal de modèles adéquats”, Encyclopaedia Hermetica en ligne, rubrique Astrologica. Retour

7 Cf. notre texte sur l’astrologisme et quelques autres déjà cités. Retour

8 Cf. A. Grafton, Cardano’s Cosmos, op. cit. Retour



 

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