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ANALYSE

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Valeur du découpage “1600” pour le corpus nostradamique

par Jacques Halbronn

    Il semble que certains nostradamologues considèrent la date de 1600 comme significative pour la gestion du corpus nostradamique, nous pensons notamment au projet soutenu par Mario Gregorio et de la “Bibliothèque Nostradamus” (dont le nom est susceptible de changer) laquelle propose des éditions numérisées en ligne. Selon cette politique, on ne proposerait que des éditions antérieures à 1600. Que vaut un tel découpage sur la base de la division en siècles ? On nous permettra d’exposer ici nos fortes réticences à une telle présentation des choses.

   La première question qui se pose est celle de déterminer quels sont les textes qui sont ou ne sont pas antérieurs à 1600, c’est-à-dire à la fin du XVIe siècle, puisque le XVIIe siècle commence en 1601. On nous répondra que la date figurant sur l’édition fait foi. Certes, on voudrait nous présenter ce projet comme étant neutre, c’est-à-dire comme n’entrant pas dans le débat entre spécialistes sur la datation des documents. Or, opter pour l’exclusion des documents ne comportant pas une date antérieure à 1600 nous semble déjà un parti pris épistémologique que nous ne saurions entériner car il faut absolument éviter que l’on donne l’impression à un grand nombre de personnes que le corpus pré 1600 est en quoi que ce soit homogène et appartient ipso facto à cette période. Cette approche qui peut sembler acceptable Outre Manche ne l’est plus en France, en raison de travaux (qu’on peut lire notamment en ligne sur les Sites Cura.free.fr et Espace Nostradamus) qui ne sont peut-être pas encore assez bien connus ailleurs, du fait qu’ils sont essentiellement accessibles en français. Cela dit, il semble assez paradoxal qu’on puisse être nostradamologue et que l’on ignore cette langue.

   Or, nous accordons la plus grande importance à la recherche comparative. On sait que c’est par la connaissance des éditions du XVIIIe siècle que l’on a pu montrer que les éditions datées de 1566 étaient antidatées. Mais il y a bien d’autres exemples de la nécessité de ne pas s’arrêter à 1600 en vue de dater des éditions supposées parues avant cette date, à commencer par le cas des éditions datées de 1568 et qu’il est impossible d’étudier sans les comparer à des éditions du XVIIe siècle, à commencer par les éditions troyennes susnommées.

   Les nostradamologues n’arrivent pas à se mettre d’accord à propos de la question suivante: quand deux éditions sont comparables, laquelle a emprunté à l’autre ? A priori, on peut penser que c’est la dernière en date qui a copié sur la première en date. Mais encore faudrait-il savoir déterminer quelle est précisément la première en date... à moins de se fier aveuglément aux dates (trop) complaisamment fournies par les éditeurs. Mais, en tout état de cause, il convient de présenter le dossier complet aux chercheurs en n’excluant donc en aucun cas l’édition supposée la plus tardive de façon à ce que chacun dispose de tous les éléments d’appréciation.

   Si l’on rapproche les deux éditions datées de 1557, chez Antoine du Rosne, des Prophéties, des éditions parues dans les 12 dernières années du XVIe siècle (1588-1600), on trouve des parallèles saisissants et qui nous conduisent à penser que les deux éditions 1557 sont prises d’éditions appartenant à la fin du siècle. Cela vaut pour les similitudes entre l’édition 1557 de la Bibliothèque de Budapest et l’édition 1590, chez Saint Jaure à Anvers (conservée à Paris, Bib. Arsenal et à Londres, à la University Library, Collection Harry Price) tout comme cela vaut pour l’édition 1558 de la Bibliothèque d’Utrecht et l’édition 1590, chez Jacques Rousseau, à Cahors (conservée à Rodez, Aveyron). Affirmer que les deux éditions datées de 1590 sont copiées des deux éditions datées de 1557 a pu séduire certains nostradamologues.

   On rappellera également certains subterfuges consistant à ne pas noter le second volet des Centuries, y compris celui des éditions datées de 1568. Cette non datation en dépit de l’existence de deux volumes des Prophéties typographiquement bien différents a pu conduire à dater le second volet (VIII-X) de la même année que le premier (I-VII) alors que vraisemblablement le second volet est à dater du XVIIe siècle et ajouté à un premier volet plus anciennement paru. On explique mal en effet pourquoi les deux volumes d’une même édition devraient comporter, comme c’est le cas, des différences de présentation aussi flagrantes si ce n’est parce qu’ils n’ont pas été composés conjointement.

   En ce qui concerne l’année 1605 que l’on nous suggère (P. Lemesurier) comme étant plus pertinente que celle de 1600, nous signalerons qu’il est très improbable que l’on puisse dater une quelconque édition des Prophéties, du moins parmi celles qui nous sont conservées, de la dite année 1605. Ce n’est pas, en effet, parce que l’Epître à Henri IV en tête des sixains est datée de Chantilly, pour cette année là, qu’il est justifié de dater les éditions comportant la dite Epître de 1605. Certes, a-t-il été méritoire de dater de 1605 des éditions datées de 1568 au vu la dite Epître mais ce n’est là qu’une cote mal taillée car en réalité 1605 n’est pas non plus acceptable ne serait-ce que par le fait que cette Epître est supposée introduire des sixains qu’il est bien improbable de pouvoir situer à cette date là.1 Il serait plus prudent de dater les éditions comportant l’Epître à Henri IV des années 1620 voire 1630, en les rapprochant notamment des éditions troyennes (Pierre Chevillot, Pierre du Ruau) et d’étudier notamment les similitudes entre les dites éditions troyennes et les éditions datées de 1568 et de 1605. Dans ce cas, il devient impossible d’affirmer que des éditions datées de 1568 et comportant l’Epître de 1605 auraient inspiré les éditions du XVIIe siècle ! C’est bel et bien l’inverse qui semble s’être produits comme ce fut le cas pour les éditions datées de 1566, lesquelles sont impérativement à situer par rapport à des éditions, cette fois, du XVIIIe siècle.

   Et il y a un autre cas, moins connu, qui concerne l’édition de 1672 de Theophile de Garencières, ce qui est la toute première édition des Centuries en langue anglaise, compilée à partir de divers documents qui n’ont pas tous été identifiés proprement. Or, cette édition comporte une traduction d’une version de la Préface à César dont on ne connaît pas à cette date d’original français mais dont il existe une version plus tardive, non datée, publiée par le libraire lyonnais Antoine Besson, à la fin du XVIIe siècle. Selon nous, cette version de la Préface à César correspondrait à un état plus ancien que celui contenu dans les éditions datées du XVIe siècle.

   Rappelons que le fait d’antidater une édition est un procédé des plus répandus dans le domaine du prophétisme moderne puisque cela permet d’attribuer à un auteur une prédiction post eventum. Tout cela contribue à faire glisser les éditions d’un siècle vers le siècle précédent ou en tout cas d’une décennie vers une décennie antérieure. Peu à peu on en est ainsi arrivé à passer d’éditions posthumes à des éditions supposées parues du vivant de Nostradamus et qui plus est d’avant la mort du Roi Henri II (1559), sur la base notamment de l’existence d’une Epître datée de 1558. Et de fil en aiguille, le prophétisme qui est supposé baliser le futur finit par investir des périodes de plus en plus distantes... dans le passé puisque s’il fallait dater certaines prophéties attribuées à Nostradamus, il conviendrait carrément de les situer bien avant la... naissance du dit Nostradamus.2 On pourrait, à ce moment là, dater les Centuries ou du moins partie des quatrains de siècles antérieurs au XVIe siècle. En effet, on avouera que la thèse selon laquelle Nostradamus n’aurait publié que des quatrains ne concernant que des événements à venir est de nos jours très peu concevable et ce pour l’excellente raison que des Prophéties ne peuvent rencontrer de succès remarquable pour des événements non encore réalisés ; il faut donc qu’une partie des quatrains ait concerné des événements déjà connus.

   Par quel stratagème peut-on à la fois signaler des événements connus lors de la parution et les dater suffisamment à l’avance sans que le lecteur ne se méfie ? Le procédé utilisé dans le cadre nostradamique semble avoir remporté des suffrages : il suffisait de laisser entendre que des documents furent rédigés longtemps à l’avance mais restés inédits. L’Epître au Roi datée de 1558 illustre bien le recours à une telle fiction puisque l’on ne connaît pas d’édition datée de 1558 comportant les Centuries VIII-X, à la tête desquelles se trouverait la dite Epître. La thèse qui semble avoir prévalu mais qui n’est exposée nettement dans aucune édition conservée voudrait que l’on ait retrouvé de très vieux papiers dans la bibliothèque du défunt Michel Nostradamus dont on ne sait d’ailleurs pas si au départ ils lui furent même attribués à un titre ou à un autre ou si plus simplement on prétendit qu’il en avait pris connaissance et y aurait puisé quelque peu.

   Voilà donc pourquoi nous ne pensons pas judicieux de limiter un projet de bibliothèque Nostradamus à 1600 et ce sous aucun prétexte, sauf à chercher implicitement à valider un certain type de travail bibliographique désormais révolu du fait d’une méthodologie dépassée. La grande erreur de certains chercheurs est précisément d’avoir trop rigidement défini les limites de leur corpus, de ne pas avoir notamment considéré les éditions postérieures à 1568 sous le prétexte qu’elles ne pouvaient rien apporter d’essentiel du fait même qu’elles étaient tardives. Il semble que l’on soit tout de même revenu d’une telle façon de voir et ce, notamment, en ce qui concerne la période de la Ligue. C’est ainsi que l’édition Macé Bonhomme 1555 avec ses 353 quatrains3, bien loin d’être la première, comme le croyait encore un Pierre Brind’amour, se lançant dans une édition de l’exemplaire d’Albi (Genève, Droz, 1996), est une édition tronquée, datant probablement des années 1580 et nullement un état originel des Centuries.

   Quant à un ouvrage comme le Janus Gallicus, édité par Jean-Aimé de Chavigny et paru à Lyon en 1594 et sous une forme abrégée, à Paris, en 1596, sous un autre titre, il comporte très probablement des pièces sensiblement plus anciennes et dont on n’a pas conservé d’éditions: on pense notamment au “Brief Discours sur la Vie de Nostradamus”, quand bien même aurait-il été ici et là retouché. Il nous apparaît également que le texte sur L’Androgyn de Dorat daté de 1570 et comportant, dans sa Préface signée Jean de Chevigny, un quatrain des Centuries, avec sa numérotation canonique, appartient en réalité à une période sensiblement plus tardive, à savoir la fin du XVIe siècle.

   On nous objectera, certes, que l’on ne fabrique pas ainsi, à sa guise, des éditions antidatées, que le papier fait foi ainsi que les caractères d’imprimerie et autres lettrines. Mais tout cela relève du leurre et est remis en question par la critique interne des textes. Il y a suffisamment de preuves que des éditions prétendument anciennes doivent être postdatées pour discréditer l’argument matériel. Il semble bien d’ailleurs que les contrefaçons aient bénéficié d’une très large documentation, précieusement transmise de décennie en décennie et qui aura permis de faire de l’ancien avec du neuf, ce qui implique au demeurant un certain nombre de complicités et de détournements qui auront permis de faire du faux avec du vrai.

Jacques Halbronn
Paris, le 26 décembre 2004

Notes

1 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. notre article “Nostradamus, ni historien, ni prophète“, sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. notre étude “Les Centuries face à l’astrologie et à la numérologie“, Espace Nostradamus. Retour



 

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